A l’occasion de la conférence Anticorruption du C5 qui s’est tenue à Paris, les 10 et 11 octobre 2022, le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’Agence française anticorruption (AFA) est revenu sur le nouveau protocole de contrôle, résultant de la mise à jour de sa Charte des contrôles en juin 2022 (« Charte ») et a partagé quelques indications sur l’état des contrôles à date. 

  • Réarticulation des deux phases de contrôle. Avant la publication de la Charte, les contrôles de l’AFA s’articulaient autour d’une phase sur pièces et d’une phase sur place. Depuis juin dernier, le séquençage s’articule désormais autour d’une première phase d’évaluation globale du dispositif de conformité et d’une seconde phase, optionnelle, d’analyse plus approfondie. Le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA a laissé entendre à cet égard que ce nouveau phasage, inspiré des audits conduits dans le cadre des conventions judiciaires d’intérêt public, permettra de procéder selon la technique de l’entonnoir, consistant en l’occurrence à « ratisser plus large pour creuser plus ciblé ». 
    • La phase 1 a vocation à être plus courte et condensée de manière à permettre aux agents de l’AFA de contrôler un panel plus large et donc plus représentatif d’entités d’un même secteur (avec notamment les leaders), ce qui permettra de mieux (i) appréhender les risques et les bonnes pratiques caractérisant le secteur concerné et (ii) identifier les entités justifiant d’approfondir le contrôle.
      • A titre d’exemple, sur les seize contrôles lancés en 2022, douze l’auraient été sur la base du nouveau protocole lancé en juin dernier. 
    • La phase 2 permettra quant à elle de « gratter en profondeur » (sic.), pour les entités sélectionnées par l’AFA, sur un pays ou une activité donnée pour les entités sélectionnées. 
  • Passage de la phase 1 à la phase 2. Selon les indications du Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA, le choix de soumettre une entité contrôlée à une phase 2 ne sera pas nécessairement fonction de la qualité du programme de conformité anticorruption présenté en phase 1. Dans ces conditions, le passage en phase 2 ne se sera pas réservé aux « mauvais élèves » (sic.). Rapprochant cette remarque de l’indication aux termes de laquelle le nouveau séquençage permettrait notamment de s’inspirer des bonnes pratiques de certaines des entités contrôlées, nous avons interrogé le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA sur la question de savoir s’il n’y avait pas un risque pour les « bons élèves » d’être soumis à une phase 2 aux seules fins pours les agents de contrôle d’en savoir plus sur leur programme et de finalement pâtir de leurs propres efforts compte tenu de la mobilisation des ressources que requiert un contrôle AFA pour une entreprise. En réponse, le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA a indiqué que la phase 2 sera lancée à l’égard des entités pour lesquelles il apparaitra nécessaire ou opportun d’évaluer la mise en œuvre et/ou le déploiement effectif du programme de conformité. Nous comprenons de cette logique que le filtrage pourrait se faire notamment au regard :
    • de l’existence même d’un programme de conformité anticorruption dans la mesure où de facto, il serait inutile de chercher à évaluer, dans le cadre de la phase 2, la mise en œuvre effective d’un programme de conformité inexistant; et/ou
    • de l’existence de facteurs de risques inhérents à l’organisation et/ou l’implantation géographique de l’entité contrôlée qu’il serait au contraire opportun d’analyser en phase 2.
  • Opérations de contrôle pour chacune des deux phases. Il ressort de la nouvelle Charte que la première phase de contrôle repose « sur les réponses apportées à un questionnaire initial, sur la conduite d’entretiens, et sur les réponses apportées aux questions éventuellement posées à l’issue de ces entretiens ». Le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA a précisé à cet égard que la phase 1 n’ira pas au-delà de ce qui est demandé dans le questionnaire initial, les demandes complémentaires susceptibles d’être adressées lors de cette phase n’ayant que pour objectifs (i) de relancer les entités contrôlées sur les questions initiales non ou insuffisamment répondues et/ou (ii) de bien comprendre les réponses apportées au questionnaire initial. S’agissant des entretiens, ceux ayant vocation à être conduits en phase 1 seront a priori limités à quelques fonctions clés, comme l’instance dirigeante et la fonction conformité. Les questionnaires de suivi et les demandes d’échantillonnage que nous avons pu connaître dans les vagues de contrôle précédentes seront quant à eux réservés pour la phase 2. 
  • Déplacement du curseur marquant la fin du contrôle. Comme la nouvelle Charte le prévoit expressément « la date de la réponse de l’entité contrôlée au rapport provisoire constitue la fin des opérations de contrôle de l’AFA » (étant rappelé que sous l’empire de l’ancien protocole, le contrôle prenait fin à l’issue du contrôle sur place). Le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA a précisé à cet égard qu’il s’agit pour eux de pouvoir tenir compte d’un maximum d’efforts déployés par l’entité contrôlée, y compris ceux mis en œuvre après la fin des opérations de contrôle à proprement parler. Cela nous semble d’autant plus bienvenu que les contrôles de l’AFA peuvent constituer, outre un coup d’accélérateur sur la mise en œuvre de certaines mesures, l’occasion pour les entités de clarifier certaines attentes de l’AFA et donc de réajuster, en cours de contrôle, certains éléments de leur programme.
  • Amélioration globale des dispositifs de conformité anticorruption. En ligne avec ce qui ressort du diagnostic national sur les dispositifs anticorruption publié en septembre dernier par l’AFA, les entreprises semblent mieux maitriser les instruments de prévention de la corruption qu’à l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1691 ayant donné naissance à l’AFA. En effet, selon les indications du Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA, le nombre de manquements aurait en moyenne diminué et certains contrôles se seraient même récemment soldés par une absence de manquement. Si une telle issue concerne à ce stade des contrôles thématiques, certains contrôles globaux seraient en passe d’atteindre le même résultat. 
  • Manquements les plus fréquents. En ligne avec ce que nous relevons dans le cadre de notre expérience, les trois premières marches du podium des manquements les plus fréquemment constatés sont actuellement occupées par (i) les contrôles comptables, (ii) le contrôle interne et (iii) la due diligence sur les tiers. Il est intéressant de noter ici que la cartographie des risques, ayant figuré pendant un temps sur ce podium a laissé sa place au contrôle interne. La tendance constatée dans le rapport d’activité 2021 de l’AFA semble donc se confirmer (l’AFA y relevait que sur les 34 contrôles d’initiatives achevés en 2021, 85% des contrôles avaient révélé un manquement relatif à la cartographie des risques contre respectivement 100%, 92% et 91% en matière de contrôles comptables, de contrôle interne et de due diligence). 
  • Contrôle de suite. Deux remarques intéressantes ont été faites par le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA sur ce point.
    • En premier lieu, le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA a indiqué qu’aucun des contrôles d’avertissement conduits à date n’a donné lieu à sanction. Cela permet de compléter les indications de l’AFA qui, dans son rapport d’activité 2021, a indiqué que « les premiers contrôles d’avertissement (…) ont révélé que les entités contrôlées s’étaient attachées à mettre en œuvre les recommandations de l’AFA, levant ainsi, pour la très grande majorité d’entre elles, les manquements constatés lors du contrôle initial ».
    • En second lieu, le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA a donné quelques informations quant aux critères de déclenchement d’un contrôle de suite. En effet, nous lui avons demandé comment s’opérait la sélection des entités contrôlées faisant l’objet d’un contrôle de suite. Cette question se justifie dès lors qu’il y a lieu de penser que tous les contrôles d’initiative ne peuvent donner lieu à contrôle de suite compte tenu (i) du nombre de contrôles lancés à date (107 selon les indications du Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA), (ii) de la part grandement majoritaire de contrôles aboutissant à un ou plusieurs constats de manquements et (iii) des effectifs de ses équipes (15 agents pour mener les contrôles d’initiative et d’exécution[1] sur les acteurs économiques). Le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA a répondu sur ce point que certains des contrôles de suite n’ont pas été conduits dans le délai de trois ans imparti compte tenu des informations communiquées proactivement par les entreprises afin de justifier des mesures mises en œuvre en réponse aux recommandations. Il s’agirait d’ailleurs là d’une modalité de suivi qui pourrait être institutionnalisée.
  • Secret professionnel. Bien que le sujet n’ait pas été abordé à l’occasion de l’intervention du Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA, il nous semble utile de relever que la nouvelle version de la Charte établissant le protocole de contrôle ne contient plus, contrairement aux anciennes versions d’octobre 2017 et avril 2019, de mention prévoyant que « les entités contrôlées ne peuvent se prévaloir du secret professionnel pour refuser d’accomplir l’une de ces obligations ».
  • Contrôles comptables. Bien que cela touche plus au fond qu’au protocole de contrôle, une question intéressante a été posée quant à la question de ce que recouvre l’exigence, ressortant de plusieurs contrôles, de voir l’entreprise disposer de contrôles comptables expressément labellisés comme relevant de l’anticorruption. Plus précisément, la question a été posée de savoir si cette attente impliquait de dédoubler des contrôles existants pour leur apposer une dénomination ciblée ou encore de prévoir des contrôles exclusifs à l’anticorruption. Le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA a répondu sur ce point qu’un contrôle comptables existant et/ou ne visant pas l’anticorruption dans son intitulé et/ou commun à d’autres risques (notamment de fraude) pouvait parfaitement répondre aux attentes en la matière, l’exigence étant toutefois que ledit contrôle comptable soit bien rattaché à un risque donné (et inversement) au regard des résultats de la cartographie des risques de corruption. Le Chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA a également précisé qu’il appartient aux entités contrôlées de présenter utilement leurs contrôles comptables aux agents de l’AFA en fonction de leur pertinence en matière d’anticorruption, l’AFA n’étant pas en charge de faire le tri face à des réponses qui viseraient une masse indissociée de contrôles comptables pour identifier elle-même ceux couvrant l’anticorruption. 



[1] Notamment ceux très chronophages conduits en suite des CJIP Airbus, Société Générale et Bolloré.