Contexte

9 septembre 2021 - L’Union européenne a adopté de nouvelles règles pour accroître la responsabilité, la compétitivité et la transparence du commerce des biens dits « à double usage »1  c’est-à-dire des biens qui peuvent être utilisés à des fins tant civiles que militaires2. La Commission a présenté en septembre 2016 une proposition de règlement révisé visant à actualiser et à étendre les règles en vigueur issues du Règlement 428/2009 instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage3.

Après quatre ans de négociations entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, un accord politique préliminaire sur le texte du Règlement a été conclu le 9 novembre 2020. Le Parlement a adopté le 25 mars 20214 en première lecture la Résolution législative de refonte du Règlement 428/2009, suivi par le Conseil le 10 mai 20215. Le nouveau Règlement 2021/8216  (ci-après, le « nouveau Règlement ») qui abroge le Règlement 428/2009 a ainsi été publié au Journal Officiel de l’Union Européenne du 11 juin 2021 et entre en vigueur le 9 septembre 2021.

Ce nouveau Règlement vise à renforcer l'action de l'Union européenne en matière de non-prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, à contribuer à la paix, à la sécurité et à la stabilité régionales, ainsi qu'au respect des droits de l'homme et du droit international humanitaire en contrôlant les exportations de biens à double usage en provenance de l'Union européenne7.

Sans modifier les grands principes régissant le contrôle des exportations des biens à double usage européen, les principales évolutions règlementaires à noter sont les suivantes :

  • Un contrôle accru des biens de cybersurveillance avec l’instauration d’un nouveau mécanisme de coordination entre les Etats membres en la matière ; 
  • Un nouveau contrôle sur la fourniture d’assistance technique concernant des biens à double usage ;  
  • Une nouvelle disposition relative aux « contrôles transmissibles » qui autorise sous certaines conditions à un Etat membre d’introduire des contrôles à l’exportation sur la base de la législation établie par un autre Etat membre ;   
  • L’accent mis sur le rôle des acteurs du secteur privé dans l’application des mesures de contrôles des exportations européennes notamment via l’intégration du principe de « programme interne de conformité » dans le nouveau Règlement ;  
  • La création de deux nouvelles autorisations générales d’exportation de l’Union8 pour l’exportation intragroupe de certains logiciels et de technologies (EU007) et pour l’exportation de certains biens intégrant des fonctions de cryptologie (EU008) ; et
  • L’instauration d’une autorisation individuelle ou globale applicable aux grands projets avec une durée de validité de quatre ans maximum, sauf dans des circonstances dûment justifiées sur la base de la durée du projet9 .

Cette alerte se concentre sur les quatre premières évolutions listées ci-avant qui peuvent avoir un véritable impact pour les acteurs localisés et ayant une activité dans l’Union européenne.  

1. Un contrôle accru sur l’exportation des biens de cybersurveillance 

Afin de lutter contre le risque que certains biens de cybersurveillance exportés depuis le territoire douanier de l’Union, tels que définis dans le nouveau Règlement10 , puissent être utilisés abusivement par des personnes complices ou responsables d’avoir ordonné ou commis des violations graves des droits de l’homme, le nouveau Règlement prévoit une clause « attrape tout » en son article 5. 

Cette dernière donne ainsi le pouvoir aux Etats membres de soumettre les exportations des biens de cybersurveillance non énumérés à l’annexe I à une autorisation préalable si l’autorité compétente informe l’exportateur que « les produits en question sont ou peuvent être destinés, entièrement ou en partie, à une utilisation impliquant la répression interne et/ou la commission de violations graves et systématiques des droits de l’homme et du droit humanitaire international »11 . Si l’exportateur a connaissance de cette finalité après avoir entrepris des diligences sur la transaction, il devra en informer l’autorité compétente de son pays qui décidera ou non de soumettre l’exportation à autorisation12 .

Les États membres ont également la possibilité d’adopter ou de maintenir unilatéralement des législations nationales soumettant à autorisation l’exportation de certains biens de cybersurveillance, à charge pour ces derniers d’en informer les autres Etats membres et la Commission13 .

2. Un nouveau contrôle sur la fourniture d’assistance technique

L’une des principales nouveautés réside dans la mise en place de contrôle sur la fourniture d’ « assistance technique ». La notion d’ « assistance technique » est largement définie à l’article 2.9 du nouveau Règlement comme « tout appui technique en liaison avec la réparation, le développement, la fabrication, le montage, les essais, l’entretien ou tout autre service technique, qui peut prendre la forme d’instructions, de conseils, de formation, de transmission de connaissances ou de qualifications opérationnelles ou encore de services de consultance, y compris par voie électronique ainsi que par téléphone ou toute autre forme d’assistance fournie de vive voix ».

La notion de « fournisseur d’assistance technique » est également largement définie14 et inclut « (a) toute personne physique ou morale ou tout partenariat qui fournit une assistance technique depuis le territoire douanier de l’Union vers le territoire d’un pays tiers; (b) toute personne physique ou morale ou tout partenariat qui réside ou est établi dans un État membre qui fournit une assistance technique à l’intérieur du territoire d’un pays tiers; ou (c) toute personne physique ou morale ou tout partenariat qui réside ou est établi dans un État membre qui fournit une assistance technique à un résident d’un pays tiers temporairement présent sur le territoire douanier de l’Union ».

Aussi, la fourniture d’assistance technique en ce qui concerne des biens à double usage énumérés à l’annexe I est soumise à autorisation si l’autorité compétente a informé le fournisseur d’assistance technique que les biens en question « sont ou peuvent être destinés, en tout ou partie, à l’un des usages visés à l’article 4, paragraphe 1 » du nouveau Règlement15  (i.e. en lien avec des armes chimiques, biologiques ou nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs, pouvant servir à une utilisation finale militaire dans un pays soumis à un embargo, ou pouvant être utilisé comme pièces ou composants de produits militaires figurant sur la liste nationale des matériels de guerre qui ont été exportés). En outre, si le fournisseur a lui-même connaissance du fait que les biens en question sont destinés, en tout ou partie, à l’un des usages visés à l’article 4, paragraphe 1 du nouveau Règlement, le fournisseur d’assistance technique devra en informer l’autorité compétente de son pays qui décidera ou non de soumettre l’exportation du service concerné à autorisation16 .

Le nouveau Règlement introduit pour la première fois dans le droit européen, un contrôle sur les exportateurs européens fournissant une assistance technique non pas en dehors du territoire douanier de l’Union mais en son sein dès lors que l’importateur (i) n’est pas un résident européen et (ii) est présent temporairement sur le territoire de l’Union européenne. Cette obligation peut s’apparenter à la notion américaine de « deemed export »17 . Cependant, alors que l’EAR18  contrôle la remise ou le transfert de technologies ou de données techniques19  dans le cadre du « deemed export », le nouveau contrôle de la fourniture d’assistance technique intra-européen prévu dans le nouveau Règlement est ici plus large dans la mesure où la fourniture de certains services est contrôlée sans qu’il y ait pour autant une remise ou un transfert de technologies ou de données techniques.

3. Des contrôles des exportations transmissibles entre Etats membres

Le nouveau Règlement prévoit qu’un État membre peut interdire ou soumettre à autorisation l’exportation des biens à double usage non énumérés à l’annexe I pour des raisons liées à la sécurité publique, notamment la prévention d’actes terroristes, ou à la sauvegarde des droits de l’homme20 . Ce dernier devra notamment notifier sa décision aux autres Etats membre ainsi qu’à la Commission qui la publiera au Journal Officiel de L’Union européenne21 .

Aussi, si l’exportateur a été informé par son autorité nationale compétente que les biens en question (qui sont soumis à un contrôle spécifique unilatéral d’un Etat membre tel que prévu à l’article 9 du nouveau Règlement) sont ou peuvent être destinés, en tout ou partie, à des usages préoccupants en matière de sécurité publique, y compris la prévention d’actes de terrorisme ou de considérations liées aux droits de l’homme, une autorisation préalable sera nécessaire22 .

Cette nouvelle disposition permet ainsi une harmonisation européenne des mesures de contrôle aux exportations via une application transfrontalière des règles en la matière adoptées par les Etats membres.

4. L’accent mis sur le rôle des acteurs du secteur privé

Ce nouveau Règlement reconnaît explicitement l’ « implication essentielle » des acteurs du secteur privé, premiers concernés en terme d’applications opérationnelles de mesures de contrôles des exportations23 .

À ce titre, il est évoqué dans le préambule du nouveau Règlement que ces exportateurs européens devraient adopter un « programme interne de conformité » (ci-après, « PIC »)24  afin d’agir en conformité avec les dispositions du nouveau Règlement notamment en évaluant les risques liés aux exportations des biens à double usage. Des « diligences raisonnables » doivent ainsi être réalisées par les exportateurs, courtiers et autres fournisseurs d’assistance technique en mettant en place des « mesures d’examen analytique des transactions »25  . Tout comme l’approche par les risques prônée aux Etats-Unis dans la mise en place d’un programme de conformité, le nouveau Règlement recommande que la taille, les ressources, la structure organisationnelle et le domaine d’activité des exportateurs doivent être pris en compte lors de l’élaboration et la mise en œuvre des PIC. Les exigences en matière de PIC relatives à l’utilisation des autorisations globales d’exportation sont définies par les États membres.

En outre, les articles 12 et 15 du nouveau Règlement disposent que l’adoption d’un PIC par les exportateurs demandant des autorisations globales d’exportation est un des éléments nécessaires ou, en tout état de cause, pris en considération par les autorités compétentes dans leur décision d’octroi de licence. 

  1. Un « bien à double usage » est défini à l’article 2.1 comme incluant : « les produits, y compris les logiciels et les technologies, susceptibles d’avoir une utilisation tant civile que militaire; ils incluent les biens susceptibles d’être utilisés aux fins de la conception, de la mise au point, de la fabrication ou de l’utilisation d’armes nucléaires, chimiques ou biologiques ou de leurs vecteurs, y compris tous les biens qui peuvent à la fois être utilisés à des fins non explosives et intervenir de quelque manière que ce soit dans la fabrication d’armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs ». ↩︎
  2. Communiqué de presse, Adoption de nouvelles règles relatives au commerce des biens à double usage (9 novembre 2020), disponible sur : https://www.consilium.europa.e... ↩︎
  3. Règlement (CE) 428/2009 du Conseil du 5 mai 2009 instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage. ↩︎
  4. Adoption par le parlement du texte sur le Contrôle des exportations, du courtage, de l’assistance technique, du transit et des transferts de biens à double usage (25 mars 2021), disponible sur :  https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0101_FR.html ↩︎
  5. Communiqué de presse du Conseil (10 mai 2021), disponible sur :  https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/05/10/trade-of-dual-use-items-new-eu-rules-adopted/ ↩︎
  6. Règlement (UE) 2021/821 du parlement européen et du conseil du 20 mai 2021 instituant un régime de l’Union de contrôle des exportations, du courtage, de l’assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage ↩︎
  7. Communiqué de presse du Conseil (9 novembre 2020), disponible sur :  https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2020/11/09/new-rules-on-trade-of-dual-use-items-agreed/ ↩︎
  8. Une « autorisation générale d’exportation de l’Union » est définie à l’article 2.15 du nouveau Règlement comme « une autorisation d’exportation pour certains pays de destination, octroyée à l’ensemble des exportateurs qui respectent les conditions et exigences d’utilisation énumérées à l’annexe II, sections A à H ». ↩︎
  9. La nouvelle « autorisation applicable à un grand projet » est définie à l’article 2.14 du nouveau Règlement et la durée de validité étendue d’une telle autorisation est précisée à l’article 12.3 du nouveau Règlement. ↩︎
  10. Article 2.20 du nouveau Règlement. ↩︎
  11. Article 5.1 du nouveau Règlement. ↩︎
  12. Article 5.2 du nouveau Règlement. ↩︎
  13. Articles 5.3, 5.4 et 5.6 du nouveau Règlement. ↩︎
  14. Article 2.10 du nouveau Règlement. ↩︎
  15. Article 8.1 du nouveau Règlement. ↩︎
  16. Article 8.2 du nouveau Règlement. ↩︎
  17. §734.13(b) of the EAR. ↩︎
  18. L’EAR est la réglementation américaine sur les biens à double usage. ↩︎
  19. Traduction libre : « actual release or transmission of technology or technical data ». ↩︎
  20. Article 9.1 du nouveau Règlement. ↩︎
  21. Articles 9.2 et 9.4 du nouveau Règlement. ↩︎
  22. Article 10 du nouveau Règlement. ↩︎
  23. Point 7 du préambule du nouveau Règlement. ↩︎
  24. La notion de PIC est définie à l’article 2.21 du nouveau Règlement comme incluant : « les politiques et procédures permanentes efficaces, appropriées et proportionnées, qui sont adoptées par les exportateurs pour favoriser le respect des dispositions et des objectifs du présent règlement ainsi que des conditions d’octroi des autorisations prévues par le présent règlement, et notamment les mesures de vigilance en ce qui concerne l’exportation des biens vers les utilisateurs finaux et aux fins des utilisations finales ». ↩︎
  25. Point 7 du préambule du nouveau Règlement. ↩︎