Les effets du COVID-19 sur les mesures de sanctions économiques et de contrôle à l’export

7 avril 2020 - La pandémie du COVID-19 a fortement perturbé le commerce international. Si la situation continue d’évoluer et a déjà eu de larges, répercussions, l’effet sur les politiques et mesures de sanctions économiques et de contrôle à l’export américaines et européennes est notable. Cette alerte présente certaines des modifications apportées ces dernières semaines aux régimes de sanctions économiques et de contrôle à l’export américains en réponse à la pandémie. Nous présentons également la réponse européenne quant à la réglementation en matière de contrôle à l’export. La situation étant particulièrement mouvante, les professionnels de la conformité sont appelés à continuer à suivre attentivement les évolutions ultérieures.

 La réponse américaine au COVID-19

A l’heure actuelle, un régime d’autorisations favorable à l’export des biens et services liés au COVID-19

Pour l’instant, de nombreux produits et équipements liés au COVID-19 sont soumis à des autorisations générales et à des normes de contrôle relativement favorables. A ce titre, le gouvernement américain a déjà délivré des licences générales afin de faciliter la fourniture de biens humanitaires à l’Iran, où le virus a eu un impact dévastateur. Plus précisément, le 27 février 2020, l’Office of Foreign Assets Control 
(« l’OFAC ») du département du Trésor américain – l’agence américaine chargée d’administrer et d’appliquer la plupart des sanctions économiques américaines – a délivré la License générale n°8. Cette licence générale autorise les paiements et les transactions connexes impliquant la Banque centrale d’Iran pour les exportations de denrées alimentaires, de médicaments et de dispositifs médicaux. Elle s’appuie sur plusieurs autorisations existantes, résumées dans une nouvelle FAQ publiée le 6 mars 2020, et autorise certains dons et autres aides humanitaires à destination de l’Iran, pour autant que les bénéficiaires ne soient ni le gouvernement iranien, ni des Specially Designated Nationals and Blocked Persons (« SDN »), ni d’autres parties sanctionnées.

À ce jour, aucune autre licence générale similaire n’a été délivrée par le Bureau of Industry and Security (le « BIS ») du département du Commerce américain – l’agence américaine chargée du contrôle des exportations de biens et de technologies à double usage. Pour l’instant, nous estimons que les demandes de licence pour des biens liés au COVID-19 qui nécessiteraient une autorisation du BIS seront généralement examinées favorablement par l’agence, conformément à la politique sous-jacente à la Licence générale n°8 de l’OFAC. En particulier, le 7 février 2020, le BIS a diffusé des lignes directrices précisant que le virus COVID-19 est classé sous la rubrique EAR99, ce qui signifie que les échantillons du virus soumis à l’Export Administration Regulations (l’ « EAR ») (par exemple, en étant présents aux États-Unis) peuvent généralement être exportés, réexportés ou transférés vers la plupart des pays sans licence fondée sur le critère de la destination. Cette précision est importante dans la mesure où le virus apparenté de l’épidémie de SRAS de 2003 est classé sous le numéro ECCN 1C351.a.46, et est à l’inverse soumis à des exigences plus strictes en matière de licence. La classification actuelle du virus COVID-19, en tant que « EAR99 », pourrait donc faciliter la recherche internationale sur les traitements et les vaccins contre le virus. 

Toutefois, au fur et à mesure que la crise se développe, si certaines ressources essentielles deviennent globalement rares, comme les respirateurs et certains médicaments, il est possible que le BIS soit amené à contrôler ces biens dans le cadre de ses pouvoirs existants applicables aux biens et marchandises en « pénurie », qui sont décrits dans le paragraphe 754 de l’EAR. À la suite de l’apparition de l’épidémie, un certain nombre de pays à travers le monde ont institué des contrôles commerciaux unilatéraux sur les équipements médicaux et autres matériaux nécessaires pour répondre à la pandémie. En effet, selon un rapport, au 21 mars 2020, au moins 54 gouvernements avaient institué de tels contrôles. 

En outre, à la suite des restrictions imposées par certains États membres, l’Union européenne (l’ « UE ») a instauré une obligation de licence pour l’exportation d’équipements de protection individuelle. D’autres pays, dont la Russie, la Turquie et l’Inde, ont imposé des restrictions similaires ou en ont totalement interdit l’exportation. La Maison Blanche serait également en train de rédiger un décret présidentiel « Buy American » destiné à relocaliser la fabrication de produits pharmaceutiques et d’équipements médicaux aux États-Unis. Ce projet a suscité une certaine opposition au sein du gouvernement même. En outre, le 3 avril 2020, la Maison Blanche a utilisé le Defense Product Act pour empêcher la société américaine 3M d’exporter des masques chirurgicaux à l’étranger. Ceci constitue un possible indice d’une approche plus agressive des contrôles sur les équipements utilisés pour contenir la propagation de l’épidémie. 

Délais d’instruction des dossiers de demandes

La région métropolitaine de Washington et d’autres grandes villes des États-Unis étant soumises à des ordonnances de confinement, tous les fonctionnaires, sauf les plus essentiels, se sont mis en télétravail à leur domicile. Dans ce contexte, les distractions et les besoins familiaux pourraient retarder et donc allonger les délais d’instruction des demandes de licences et autres dossiers d’autorisation. A fortiori, si un grand nombre de fonctionnaires chargés de l’instruction des dossiers de licences ou des membres de leur famille immédiate tombent malades, les délais pourraient être encore allongés.

En outre, même pour les exportations ou les réexportations autorisées, il peut s’avérer difficile de trouver des transporteurs et des fréteurs disponibles dans la mesure où de nombreuses expéditions non essentielles sont retardées pour libérer les ressources de la chaîne d’approvisionnement nécessaires pour répondre efficacement à la pandémie. Les expéditeurs, tels que FedEx, ont réduit leur capacité en réponse au ralentissement de l’économie et ont suspendu leurs garanties de service en prévision des retards.

En outre, les objectifs réglementaires en cours peuvent être interrompus ou retardés. En particulier, l’Export Control Reform Act de 2018 a chargé le BIS (en collaboration avec les départements de la Défense, de l’Énergie, de l’État et d’autres agences, le cas échéant) d’élaborer la définition des termes « technologies émergentes » et « technologies fondamentales » et d’imposer des contrôles sur ces technologies qui sont « essentielles à la sécurité nationale des États-Unis ». Fin 2018, le BIS a diffusé un Advanced Notice of Proposed Rulemaking (un préavis de projet de réglementation) afin de solliciter des observations sur les critères à prendre en compte dans la définition de « technologies émergentes », et a récemment, en janvier 2020, diffusé une règle provisoire fixant les premières restrictions applicables aux logiciels d’intelligence artificielle. Bien qu’une définition proposée pour les
« technologies émergentes » ait été attendue pour la fin de 2019, il est probable que la crise COVID-19 entraînera un retard supplémentaire dans l’élaboration d’une réglementation sur cette question.

L’application des contrôles reste constante

L’activité de contrôle, du moins pendant la première partie de la crise, s’est poursuivie. Par exemple, au cours de la seule semaine du 16 mars 2020, l’OFAC a déclenché trois procédures d’exécution distinctes afin de désigner près de vingt parties impliquées dans l’exportation de produits pétroliers iraniens. De même, le 26 mars 2020, le ministère de la Justice américain a inculpé le président vénézuélien Nicolás Maduro pour trafic de drogue et blanchiment d’argent, alors même que les tribunaux partout dans le pays commençaient à fermer et à suspendre les procédures en réponse à la crise. L’effet dévastateur que le virus a eu jusqu’à présent en Iran a en particulier provoqué une pression internationale pour que les États-Unis lèvent les sanctions économiques visant ce pays, parmi d’autres, avec un des appels les plus marquants provenant le 31 mars 2020 du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation. Cependant, le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, a affirmé la volonté du « gouvernement Trump de continuer à cibler et à isoler ceux qui soutiennent le régime iranien ». 

Il est donc impératif que les entreprises restent vigilantes quant à leurs efforts de mise en conformité, même si elles doivent jongler avec une myriade de défis sans précédent et difficiles. En particulier, les salariés en télétravail à domicile doivent faire preuve de prudence, notamment lorsqu’ils utilisent des données techniques soumises à des contrôles à l’exportation, afin d’éviter les exportations « réputées » par inadvertance vers des personnes non autorisées. Les responsables de conformité doivent également souligner que les procédures de conformité de l’entreprise, telles que des screenings et due diligence sur les tiers, restent en vigueur tout au long de la crise.

La réaction de l'UE face au COVID-19

La réponse des États membres de l’UE en matière de contrôle à l’export vise à protéger leur approvisionnement et leurs ressources en matière de biens et technologies du secteur médical et de la santé tout en régulant, au niveau européen, les exportations de l’UE vers les pays tiers.

Les restrictions à l’exportation de l’UE entre ses États membres

Aux termes de l’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’UE
(le « TFUE »), le domaine de la santé publique relève de la compétence interne des États membres. Ces derniers sont donc, en principe, libres d’organiser et d’approvisionner leur système de santé et de soins comme ils le souhaitent.

Cependant, l’action de l’UE peut « compléter » et « appuyer » ces politiques nationales. À ce titre, l’article 4 du TFUE et l’article 168 du TFUE prévoient une compétence partagée entre l’UE et les États membres en matière d’enjeux communs de sécurité et de de santé publique. Cette compétence partagée comprend les questions telles que : la prévention des maladies, la lutte contre les grands fléaux ou la lutte contre les menaces transfrontières graves sur la santé. Néanmoins, il convient de noter que la capacité de l’UE à légiférer et à adopter des textes juridiquement contraignants sur ces questions est limitée à la condition qu’ils n’impliquent aucune harmonisation législative ou réglementaire des législations nationales.

Pour leur part, les États membres sont tenus de respecter le principe fondamental de libre circulation des marchandises prévu aux articles 26, 28 à 37 du TFUE. Seules certaines circonstances, telle que la protection de la santé publique, peuvent justifier que des barrières aux échanges de marchandises soient rétablies à l'intérieur du marché unique.

Dans ce cadre, et dès le début de la crise sanitaire en Europe, plusieurs pays, dont la France et l’Allemagne, ont pris des mesures nationales instituant des réquisitions d’équipements de protection individuelle
(« EPI »), qui comprennent les équipements tels que les masques, les lunettes et visières de protection, les écrans faciaux, les équipements de protection bucco-nasale et les vêtements de protection, et des restrictions à l'exportation de ces mêmes EPI. À titre d’exemple, la France a réquisitionné tous les stocks de masques chirurgicaux anti-projections et de type FFP2 auprès des producteurs et distributeurs nationaux puis a étendu cette réquisition aux autres types de masques chirurgicaux. Ces réquisitions nationales ont restreint de facto toute exportation de masques hors des territoires français et allemand

Pour répondre à cette esquisse de repli national, et dans un souci d’assurer le respect de la libre circulation des marchandises entre États membres, l’UE a réagi en deux temps : apporter une réponse coordonnée à la crise sanitaire et garantir l’accès sans entrave aux fournitures médicales au sein de l’UE.

Dans un premier temps, le 13 mars 2020, la Commission européenne a rappelé aux gouvernements français et allemand, sans pour autant directement les nommer, qu’ « il est essentiel d'agir ensemble pour garantir la production, le stockage, la disponibilité et l'utilisation rationnelle des équipements de protection médicale et des médicaments dans l'UE, de manière ouverte et transparente, plutôt que de prendre des mesures unilatérales qui restreignent la libre circulation des produits de santé essentiels. » Bruxelles a rappelé ainsi l’importance cruciale de la solidarité entre les États membres en cette période de crise sanitaire.

Dans un second temps, la Commission a publié de nouvelles lignes directrices sur les mesures de gestion de frontières pour protéger la santé publique et garantir la disponibilité des biens et des services essentiels. Ce texte souligne que « la crise du coronavirus a mis en lumière le défi qu’il y a à protéger la santé des populations tout en évitant les perturbations dans la libre circulation des personnes et la fourniture des biens et services essentiels dans toute l’Europe ». Pour pallier les pénuries et faire face à l’aggravation des difficultés sociales et économiques que connaissent déjà tous les États membres, l’UE rappelle qu’il est essentiel de préserver le fonctionnement du marché unique.

En réponse à l’appel de la Commission, la France et l’Allemagne ont finalement décidé de retirer leurs mesures restrictives sur les transferts d’EPI afin de garantir que « le matériel [EPI] détenu va là où sont les besoins, vers les patients, les médecins, les hôpitaux, le personnel de santé ». Fin mars, la France et l’Allemagne ont ainsi chacun envoyé plus d’un million de masques et deux cent mille tenues de protection à l’Italie.

Les restrictions à l’export entre les États membres de l’UE et les pays tiers

La Commission a adopté les règlements (UE) 2020/402 et (UE) 2020/426 imposant que les exportations d’EPI en dehors de l'UE soient soumises à une autorisation préalable délivrée par les autorités compétentes des États membres. 

Cette mesure est applicable pendant une période de six semaines à compter du 15 mars 2020. Par dérogation, les exportations vers la Norvège, l’Islande, le Liechtenstein, la Suisse, ainsi que vers les pays et certains territoires d’Outre-Mer (c’est-à-dire les pays identifiés à l’annexe II du TFUE décrits dans l’article 198 du TFUE comme « les pays et territoires non européens entretenant avec le Danemark, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni des relations particulières »), et les îles Féroé, Andorre, Saint-Marin et la Cité du Vatican, ne sont pas soumises à ces restrictions.

En France, c’est le Service des Biens à Double Usage (« SBDU ») rattaché au ministère de l’Économie qui a été désigné par la Commission comme autorité de délivrance des autorisations d’exportation des biens de protection médicale mentionnés en annexe du Règlement 2020/402 du 13 mars 2020. Le SBDU est compétent pour recevoir les demandes, organiser l’instruction administrative, prononcer et notifier les décisions selon les critères fixés par le règlement précité.

Conclusion

La pandémie de COVID-19 présente des défis nouveaux et sans précédent. Ses effets sur l’approche américaine, européenne et internationale en matière de sanctions économiques et de contrôle à l’export pourraient se faire sentir pendant les mois, voire les années à venir. Bien que la crise n’en soit qu’à ses débuts, les professionnels de la conformité doivent suivre l’évolution de la situation au quotidien et s’assurer que leurs entreprises respectives poursuivent leurs efforts de mise en conformité en fonction des risques.  

Cliquez ici pour accéder à notre COVID-19 Ressource Center, vous y retrouverez les alertes, les articles et d'autres contenus liés à la pandémie de coronavirus.