1er août 2019. En réponse aux nouveaux défis de l’économie mondiale, la France a voté le 22 mai 2019 la loi PACTE n°2019-486, relative à la croissance et la transformation des entreprises.

La loi vise six objectifs :

  • libérer les entreprises, en levant leurs contraintes à la création ou à la transmission ;
  • donner une perspective longue aux acteurs économiques ;
  • aligner les intérêts de tous les acteurs économiques, en particulier des salariés ;
  • responsabiliser les acteurs;
  • produire une société de l’émancipation, plutôt qu’une société de la rente ; et
  • construire un État stratège plutôt qu’un État actionnaire.

Ces six objectifs sont développés dans les trois thèmes suivants :

  1. Libérer les entreprises pendant toutes les phases de leur vie;  
  2. Permettre aux entreprises d’être plus innovantes; 
  3. Promouvoir des entreprises plus justes. 


1. Libérer les entreprises pendant toutes les phases de leur vie.

La loi PACTE tend à libérer les entreprises pendant toutes les phases de leur vie en passant notamment par la simplification de la création d’entreprise, la simplification des procédures pour les entreprises notamment en matière de seuils du nombre de salariés et la facilitation de la transmission des entreprises.

En particulier :

  • elle facilite les formalités de création d’entreprises ; 
  • elle fait évoluer le rôle des commissaires aux comptes dans les entreprises et elle relève les seuils applicables à leur désignation;
  • elle accroît l’efficacité de la liquidation judiciaire simplifiée en la rendant obligatoire en deçà de certains seuils, lesquels devraient viser les petites et moyennes entreprises, et en accélère le déroulement ; 
  • elle habilite le Gouvernement à réformer le droit des suretés par voie d’ordonnance. L’objectif est de maintenir un équilibre entre les intérêts des créanciers et ceux des débiteurs, tout en clarifiant et améliorant la lisibilité du droit des suretés.

2. Permettre aux entreprises d’être plus innovantes.

La loi PACTE vise également à améliorer et à diversifier les financements, par les mesures suivantes : 

  • Réforme des produits d’épargne et accession facilitée pour les entreprises aux marchés financiers, et diversification de leurs sources de financement.
  • Abaissement du seuil de la procédure de retrait obligatoire à 10% pour faciliter le retrait de la cote officielle.
  • Création d’un contrat-type en droit français pour les opérations de swap et de dérivés.
  • Pour les émissions de titres financiers de petite taille (dont le montant est inférieur à 8 millions d'euros), qui ne sont (par principe) pas soumises à l’obligation d’établir et de publier un prospectus, il est désormais obligatoir de publier un document synthétique destiné à l’information du public.
  • Assouplissement des conditions d’octroi d’avances en compte courant : désormais l’article 76 supprime la condition de détention du capital.
  • Suppression de l’obligation pour les chambres de compensation d'avoir la qualité d'établissement de crédit.
  • Création d’un cadre juridique sui generis pour les « offres initiales de jetons » numérique (également dénommée « ICO ») c’est-à-dire les levées de fonds via un dispositif d’enregistrement partagé.
  • Règlementation de l’activité des prestataires sur actifs numériques (PSAN) qui concerne aussi bien les « tokens » que les crypto-monnaies.
  • Sécurisation et modernisation du régime juridique des actions de préférence : les sociétés par actions qui ne sont pas cotées pourront créer des actions de préférence à droit de vote multiple.

Elle protège les inventions en particulier par l’incitation du dépôt des brevets et la valorisation des brevets notamment par la simplification de leur dépôt et par l’instauration d’une procédure d’opposition au brevet d’invention pour lutter contre les contrefaçons.

Elle préserve les intérêts nationaux essentiels par un durcissement du régime des investissements étrangers en France en renforçant le pouvoir du ministre chargé de l’économie, dans l’hypothèse où un investissement étranger soumis à autorisation préalable a été réalisé sans cette autorisation, et par le renforcement du « golden share » détenue par l’Etat dans le capital d’une société stratégique qui permet de maintenir le contrôle d’actifs sensibles.

3. Promouvoir des entreprises plus justes. 

Afin de favoriser un capitalisme plus responsable, la loi PACTE prend de nombreuses mesures destinées à promouvoir des entreprises plus justes :

  • Consécration de la notion d’intérêt social dans le nouvel article 1833 al. 2 du code civil, et ouverture de la possibilité aux entreprises qui le souhaitent de préciser la raison d’être de la société dans les statuts.
  • Promotion de la présence d’entreprises plus justes en créant les « entreprises à mission » qui sont des sociétés commerciales dotées d’une raison d’être et tenues de poursuivre des objectifs sociaux et environnementaux.
  • Développement de l’épargne salariale par la suppression du forfait social pour les entreprises dont l’effectif est inférieur à 50 salariés (pour toutes sommes versées par les entreprises en application d’un dispositif d’épargne salariale), ainsi que pour les entreprises qui emploient moins de 250 salariés (pour les sommes versées au titre d’un accord d’intéressement). La loi permet également de stimuler l’actionnariat salarié par l’augmentation de la décote maximale autorisée sur les titres d’entreprise.
  • Possibilité d’abondement unilatéral de l’employeur sur les fonds d’actionnariat salarié dans le cadre d’un PEE.
  • Possibilité de rétrocéder des plus-values mobilières par les associés aux salariés.
  • Renforcement de la présence des administrateurs salariés dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions via la désignation d’au moins deux représentants lorsque le conseil compte plus de huit membres
    (au lieu de douze membres auparavant), et d’un seul représentant si le conseil compte huit membres ou moins (au lieu de douze auparavant).
  • Renforcement de la présence des représentants de salariés d’actionnaires dans les conseils d’administration ou de surveillance des sociétés anonymes.
  • Renforcement de la parité homme femme, en imposant une représentation équilibrée entre eux au sein de la direction générale de ces sociétés, en ce qui concerne la direction et l’administration des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions.
  • Obligation de faire figurer de nouvelles informations dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise sur larémunération des dirigeants dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions, dont les titres sont admis aux négociations sur un marché règlementé.
  • Assouplissement de la représentation des actionnaires non-résidents de sociétés françaises et amélioration de l’identification des propriétaires de titres au porteur par les sociétés émettrices cotées.
  • Encadrement de l’activité de conseil en vote.

Ces différents thèmes feront l’objet d’alertes successives dans les semaines qui viennent. La première alerte porte sur le thème suivant : une gestion des sociétés guidée par leur intérêt et leur éventuelle « raison d’être ». 

Une gestion des sociétés guidée par leur intérêt et leur éventuelle "raison d'être"

La loi PACTE introduit à l’article 1833 du Code civil la notion d’ « intérêt social » qui a été dégagée en jurisprudence. Pour autant, elle ne définit pas cette notion. 
La prise en considération des questions sociales et environnementales dans la gestion des sociétés est l’innovation la plus marquante. Mesurer les impacts sociaux et environnementaux dans la prise de décision a pour but d’obliger les dirigeants de sociétés à s’interroger sur ces problèmes et à les « examiner attentivement ».
Le concept de « raison d’être » de la société fait son apparition.
Les statuts « peuvent spécifier une raison d’être, constituée des principes dont la société est dotée et pour laquelle elle entend allouer des moyens dans l’exercice de son activité » (art. 1835 du code civil). Ces dispositions sont entrées en vigueur le lendemain de la publication de la loi au Journal Officiel, soit le 24 mai 2019.

I. La gestion de la société dans son intérêt social
Article 1833 du Code civil : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

1. Une consécration relative de la notion d’intérêt social 
La loi PACTE consacre la notion d’ « intérêt social » qui a été dégagée en jurisprudence. Pour autant, elle ne définit pas cette notion car, selon l’exposé des motifs, « son application repose sur sa grande souplesse, qui la rend rétive à tout enfermement dans des critères préétablis ». En ce qui concerne la sanction encourue en cas d’inobservation des nouvelles dispositions de l’article 1833 du code civil, des modifications sont apportées aux articles 1844-10 du Code civil
et L. 235-1 du Code de commerce afin d’écarter la violation de l’intérêt social des causes de nullité de la société (L., art. 169).
Ainsi, la méconnaissance de l’intérêt social à l’occasion d’une décision de gestion ne pourra en aucun cas entraîner la nullité du contrat de société : 

  • vis-à-vis de la société et des associés, la méconnaissance de l’intérêt social est susceptible de constituer une faute de gestion du dirigeant, justifiant une action en responsabilité à son encontre. Une sanction politique - la révocation du dirigeant – pourrait même intervenir dans la mesure où l’inobservation des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1833 du code civil pourrait être considérée comme un juste motif de révocation ;
  • vis-à-vis des tiers, la chambre commerciale de la Cour de cassation exige de manière classique que soit caractérisée une faute séparable des fonctions afin que la responsabilité civile du dirigeant puisse être engagée.

2. La prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux
L’article 1833 du Code civil, alinéa 2, prévoit dans sa nouvelle rédaction que la société est gérée dans son intérêt social « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Aucune définition de ce que recouvrent précisément les « enjeux sociaux et environnementaux » n’est donnée par le législateur: dans la mesure où ces enjeux sont à mettre en perspective avec l’activité de la société, une analyse est nécessaire et justifie le fait que le législateur se soit abstenu de définir ces enjeux. Aucune décision de gestion ne devrait être prise sans que le dirigeant n’ait, au préalable, examiné les conséquences de sa décision sur les enjeux sociaux et environnementaux de la société.
Pour autant, il ne s’agit pas de subordonner la décision au respect de
ces enjeux : la loi PACTE institue une obligation de moyens qui ne devrait avoir aucune conséquence sur le sens de la décision du dirigeant. Une décision ayant des conséquences négatives au plan social et environnemental pourra ainsi être valablement adoptée s’il en résulte un intérêt pour la société (Editions législatives, Dictionnaire permanent Droit des affaires – Bulletin, Juin 2019).

II. La faculté de préciser la « raison d’être » de la société dans ses statuts
Article 1835 du Code civil : « Les statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent, outre les apports de chaque associé, la forme, l'objet, l'appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement. Les statuts peuvent préciser une raison d'être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

Le nouvel article 1835, applicable à toutes les sociétés, introduit la notion de « raison d’être » de la société. Des modifications spécifiques aux SA sont également apportées en vue d’imposer au conseil d’administration ou au directoire de prendre en considération cette raison d’être lorsque la société en est pourvue
(C. com., art. L. 225-35 et L. 225-64, mod.)

1. La définition de la raison d’être
A l’instar de la notion d’intérêt social, aucune définition de la raison d’être n’a été retenue par le législateur. « La raison d’être (est) l’expression de ce qui est indispensable pour remplir l’objet social » (Rapport Notat-Senard).
La raison d’être est l’affirmation des valeurs que la société entend promouvoir dans l’accomplissement de son objet social.

2. Le régime juridique de la raison d’être

  • Le caractère facultatif : la loi PACTE n’oblige pas les sociétés à insérer dans leurs statuts une disposition exposant leur raison d’être, il ne s’agit que d’une faculté. La faculté d’insérer la raison d’être s’accompagne de la liberté de la modifier, voire d’en supprimer la mention. A lire le rapport Notat-Senard, la raison d’être est porteuse de valeurs nobles, touchant à l’environnement, aux relations sociales, au bien-être des consommateurs, voire de l’humanité ; mais rien n’interdit aux sociétés « de jouer franc jeu » et d’afficher clairement que la raison d’être de la société est par exemple la recherche du profit (Editions Francis Lefebvre, BRDA 10/19). Depuis l’adoption de la loi Pacte, certaines entreprises ont déjà inscrit ou entendent inscrire une raison d’être dans leurs statuts.
  • La place de la raison d’être : l’article 1835 du Code civil préconise l’inscription de la raison d’être dans les statuts de la société, ce qui sera l’occasion pour les associés de se prononcer sur le changement de politique de la société dans laquelle ils ont placé des fonds. Dans ce cas, le CSE, s’il existe, devra être informé et consulté, car l’insertion d’une raison d’être dans les statuts relève des questions intéressant l’orientation stratégique de la société (art. L. 2312-24 du Code du travail). La faculté de faire entrer la raison d’être dans les statuts va de pair avec la liberté de l’inscrire ailleurs. On peut ainsi imaginer de placer la raison d’être dans un pacte d’associés, pour éviter la publicité inhérente à une insertion statutaire. On peut également concevoir que la raison d’être n’apparaisse que dans la littérature juridique ou économique publiée par la société. En effet, plus on s’éloigne des statuts, plus le risque d’effets juridiques indésirables diminue.
  • Les effets juridiques théoriques de la raison d’être :
    Pour la société : l’apparition d’une raison d’être dans les statuts crée à l’égard de la société une obligation de conformité à la vision exprimée(Rappr. Avis CE, p. 39). Par suite, si des tiers venaient à être lésés par une transgression de la raison d’être, ils pourraient rechercher la responsabilité de la société. Ils pourraient également opposer à la société la mention statutaire, par exemple pour rechercher l’annulation d’un acte les concernant (Comp. Cass. 3e civ., 14 juin 2018, n° 16-28.672). En revanche, la nullité des actes et délibérations sociales ne peut pas résulter d’une violation des dispositions relatives à la raison d’être (art. 1844-10 du code civil et L. 235-1 du code de commerce). Il faut ajouter, s’agissant des sociétés offrant leurs titres au public, le risque de sanction administrative pour information mensongère, si l’opération – augmentation de capital, émission de titres de créance – est présentée comme destinée à contribuer à la réalisation de la raison d’être de la société, alors que le but poursuivi avec la levée de fonds est sans rapport avec cette raison d’être.
    Pour les dirigeants : pour les sociétés anonymes, il est expressément posé que le conseil d’administration et le directoire sont tenus de prendre en considération la raison d’être lorsque celle-ci est définie dans les statuts (art. 225-35 et L. 225-64 du code de commerce), d’où un risque de mise en cause éventuelle de leur responsabilité. 
  • Les effets juridiques pratiques : dans la grande majorité des cas, il est probable que l’affirmation de la raison d’être se limitera à des généralités, sans qu’un objectif chiffré ou mesurable soit affiché. Dans ce cas, les risques d’effets juridiques indésirables en cas de stipulation d’une raison d’être paraissent moins graves que le seul examen théorique ne le laisse penser. En revanche, si on assortit la raison d’être d’objectifs chiffrés (par exemple, l’engagement de consacrer tel pourcentage de ses profits à une action humanitaire précisément définie), la menace de conséquences juridiques devient réelle si l’objectif n’est pas atteint.