9 septembre 2020 - Cet article est le premier d'une série de trois publications dont l’objectif est d’offrir un panorama complet des sanctions économiques émergentes contre la Chine. Les articles suivants seront consacrés au cas Huawei (2/3) et aux applications chinoises TikTok/WeChat (3/3) et seront disponibles au fil du mois de septembre sur le site Internet de Hughes Hubbard & Reed.

Comme nous l’avions souligné dans un article paru récemment dans le Monde du Droit1,  la guerre économique entre les Etats-Unis et la Chine semble avoir atteint un nouveau paroxysme comme en atteste la récente décision de l’administration américaine d’imposer de nouvelles sanctions économiques en réaction aux velléités expansionnistes de la Chine sur le territoire de Hong Kong. L’Europe, bien que plus timorée dans sa réaction, lui a tout de même emboité le pas en dénonçant également ces pratiques.    

Pour rappel, et après des mois de contestation des citoyens hongkongais pour tenter de sauvegarder la relative autonomie de la région, l’assemblée nationale populaire à Pékin a, le 30 juin 2020, promulguée une nouvelle loi de sécurité nationale, rapidement condamnée par la communauté internationale qui la juge contraire à la déclaration commune sino-britannique de 19842   instaurant le principe « un pays, deux systèmes ». En outre, en interférant dans les affaires de Hong Kong, la Chine viole de facto ses engagements pris au titre de l’article 22 de la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong.3     

Une réponse américaine ferme et soudaine

Depuis le début des manifestations, les Etats-Unis ont vivement exprimé leur soutien au peuple hongkongais qui s’est récemment matérialisé, d’une part, par l’adoption par le Congrès d’une nouvelle loi intitulée « Hong Kong Autonomy Act »4,  signée par le Président Trump le 14 juillet 2020, et, d’autre part, au travers de la publication d’un décret présidentiel5   (« Executive Order ») adopté le même jour.  

La loi pour l’autonomie de Hong Kong

La loi pour l’autonomie de Hong Kong n’impose pas de sanctions immédiates. Elle enjoint en effet le Département d’Etat et le Trésor américain à publier, dans des délais impartis, deux rapports identifiant les individus et les entités non-américains ayant contribué aux violations par la Chine de ses obligations vis-à-vis de Hong Kong.

Le Secrétaire d’Etat doit ainsi, dans les 90 jours suivant l’entrée en vigueur de la loi pour l’autonomie de Hong Kong (soit avant le 12 octobre 2020), rédiger un rapport identifiant les « personnes [morales et/ou physiques] étrangères ayant matériellement contribué ou tenté de contribuer à l’échec du gouvernement chinois de respecter ses obligations en vertu de la déclaration commune sino-britannique et de la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong ».6   

La loi prévoit que le Président a, dans l’année suivant sa publication, la possibilité d’imposer des sanctions (notamment des mesures de gel des avoirs) contre les personnes listées dans ce rapport. L’imposition de telles sanctions contre ces personnes devient toutefois obligatoire passé le délai d’un an.

Le Secrétaire du Trésor américain dispose, quant-à-lui, de 30 à 60 jours après la publication du premier rapport pour soumettre un second rapport identifiant, cette fois-ci, les institutions financières étrangères ayant « intentionnellement réalisé des transactions significatives 7  avec les personnes identifiées » 8  dans le premier rapport. La loi prévoit une liste de 10 sanctions pouvant être imposées à l’encontre des institutions financières identifiées. Le Président devra, dans l’année qui suit la publication de ce second rapport, imposer au moins 5 de ces 10 sanctions à l’encontre des institution financières visées, puis l’intégralité dans un délai maximal de 2 ans. Le Président peut, par exemple, interdire à une banque américaine de consentir des prêts ou des crédits à une institution financière étrangère designee.9   

Le décret présidentiel 13936

Le décret présidentiel prévoit quant à lui des sanctions plus larges à l’encontre de la Chine. Il enjoint tout d’abord les autorités compétentes à abandonner tout traitement de faveur existant (en matière d’immigration, de contrôles aux exportations,10   de contrôles des investissements étrangers, etc.) accordés à Hong Kong.11  Il donne également autorité au Trésor et au Département d’Etat américains pour imposer des sanctions immédiates contre toute personne étrangère ayant contribué à la perte d’autonomie de Hong Kong. Ses dispositions sont plus larges que celles prévues dans la loi pour l’autonomie de Hong Kong en ce qu’elles ne visent pas distinctement les institutions financières mais toute personne ayant « matériellement assisté » des individus ou entités désignés par les autorités américaines.12 

Ces textes, complémentaires, sont riches d’enseignement sur le fonctionnement des institutions américaines eu égard au domaine des sanctions économiques tiraillé entre le pouvoir législatif et l’exécutif. Via l’adoption du décret présidentiel prévoyant des sanctions plus larges, le Président Trump a en effet souhaité réaffirmer son autorité en la matière et se départir des dispositions de la loi adoptée par le Congrès.     

La désignation de onze hauts fonctionnaires hongkongais au titre du décret présidentiel 13936

Comme anticipé, c’est l’exécutif américain qui a frappé le premier. L’Office of Foreign Assets Control (l’ « OFAC ») – l’autorité en charge de l’application des sanctions économiques américaines rattachée au pouvoir exécutif – ne s’est en effet pas fait attendre en désignant en qualité de personnes sanctionnées (Specially Designated Nationals, « SDN »), le 7 août dernier, onze individus considérés comme responsables de « l’affaiblissement de l’autonomie de Hong Kong » et des « restrictions de la liberté d’expression et de réunion des citoyens de Hong Kong ».13  Ces individus voient ainsi leurs avoirs, présentant un lien direct ou indirect avec la juridiction américaine, gelés. Plus handicapant pour eux, ces derniers voient leur accès au marché américain et à la devise USD interdit au titre de cette désignation.  

Ces désignations, réalisées sur le fondement du décret présidentiel 13936, visent exclusivement des hauts fonctionnaires et membres de l’administration hongkongaise proches de Pékin dont Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif de Hong Kong élue en 2017 et très proche du Parti communiste chinois.

Toutefois, l’impact de ces désignations est relativement limité pour la région de Hong Kong. Ces individus n’ont en effet que peu de liens avec le secteur économique hongkongais. Seules les institutions financières internationales ayant des relations directes ou indirectes avec ces individus devront prendre les mesures nécessaires afin de ne pas contrevenir à la réglementation sanctions économiques américaine dans la mesure où celle-ci est applicable. Faute de quoi, ces mêmes institutions pourraient, à leur tour, être sanctionnées par l’OFAC.

Ces mêmes institutions financières se retrouvent, par ailleurs, dans une situation délicate car elles font aujourd’hui face à un conflit de lois entre les réglementations américaine et hongkongaise. La nouvelle loi de sécurité nationale de Hong Kong, qui est à l’origine de l’imposition de ces sanctions, dispose en effet dans son article 29.4 que le respect des sanctions économiques adoptées par des Etats étrangers ou des organisations internationales à l’encontre de Hong Kong ou de la Chine constitue une infraction pénale.14  Ainsi, les institutions financières internationales actives sur la place de Hong Kong se retrouvent à nouveau prises entre le marteau et l’enclume et les termes du dilemme cornélien qui se présente à elles sont particuliers ardus (dilemme qui n'est pas sans rappeler celui auquel les banques occidentales ont été confrontées en 2014 à la suite de l'adoption des sanctions économiques européennes et américaines à l'encontre de la Russie). Il est cependant fort à parier qu’elles finiront par se conformer aux sanctions économiques américaines tant le marché américain conserve sa primauté, et ce indépendamment de la grande attractivité du marché chinois.  

Après avoir dans un premier temps minimisé l'impact des ces sanctions à son encontre,15  Carrie Lam a indiqué le 18 août 2020 vouloir contester ces sanctions ainsi que celles prises plus largement à l’encontre de Hong Kong en matière de contrôle des exportations (sujet couvert dans notre article de la semaine prochaine) devant l’organe de résolution des litiges de l’Organisation mondiale du commerce.16  Cette réaction n’est pas sans rappeler celle de la Communauté économique européenne qui avait, fin 1996, saisi ce même organe à la suite de l’imposition par les Etats-Unis des premières mesures de sanctions économiques secondaires à l’encontre l’Iran, la Syrie et Cuba – les lois Helms-Burton et d’Amato-Kennedy (sujet que nous couvrirons dans un prochain billet).

Une réponse européenne modérée     

L’Union européenne n’a, quant à elle, pas encore adopté de mesures autant contraignantes que celles imposées par les Etats-Unis à l’encontre de la Chine. À ce jour, le Conseil européen s’est en effet contenté d’adopter des conclusions dans lesquelles il exprime la vive préoccupation que lui inspire la loi de sécurité nationale de Hong Kong.

L’Union européenne s’est à ce titre ainsi engagée à arrêter un ensemble coordonné de mesures concernant notamment le contrôle des exportations de certains équipements et de certaines technologies sensibles destinés à une utilisation finale à Hong Kong.17 

Les conclusions du Conseil européen n’ont toutefois pas vocation à produire d’effets juridiques contraignants à ce stade. Le Conseil ne prend ici qu’un engagement à adopter, avant la fin de l’année, des mesures contraignantes qui devraient prendre la forme d’une décision du Conseil suivie d’un règlement européen.

Tout comme leurs équivalents américains, les réglementations sanctions économiques et contrôle des exportations européennes sont des restrictions en devenir. Toutefois, le contexte politique entre la Chine et l’Union européenne, d’une part, et les Etats-Unis, d’autre part, ainsi que la dépendance économique de l’Union européenne vis-à-vis de la Chine rendent les situations dans lesquelles se trouvent les deux espaces économiques peu comparables, ce qui explique en partie la différence de célérité et de force de leurs réactions respectives.

Les enjeux de politique interne américaine (et notamment le calendrier électoral de fin 2020) ont également une influence considérable sur le devenir et la portée de telles sanctions. La position agressive de l’administration du Président sortant à l’encontre de Pékin sert en effet sa campagne qui se recentre, ces dernières semaines, sur une base conservatrice accueillant positivement cette politique sinophobe.

Les désignations américaines du 7 août demeurent toutefois symboliques en ce qu’elles visent une poignée d’individus jugés responsables ou complices de la situation actuelle à Hong Kong. Cependant, dans le contexte actuel d’escalade des tensions entre les Etats-Unis et la Chine, il n’est pas impossible de voir cette première salve suivie par une seconde emportant, cette fois, de véritables conséquences sur l’économie hongkongaise.

Notons par ailleurs que les sanctions en lien avec Hong Kong ne représentent qu’une partie de l’arsenal américain des sanctions économiques et mesures de contrôle des exportations déployé contre la Chine. Ce dernier se compose en effet également des mesures restrictives à l’encontre d’entités stratégiques chinoises dont le géant des télécommunications Huawei, ou encore contre les applications chinoises TikTok et WeChat ainsi que des sanctions économiques adoptées en réponse aux violations des droits de l’homme frappant la communauté musulmane ouïghoure. Nous reviendrons sur l’ensemble de ces mesures et sanctions dans nos prochains articles qui seront disponibles au fil du mois de septembre sur le site Internet de Hughes Hubbard & Reed.

La Chine reste malgré tout un partenaire commercial de premier plan pour les acteurs économiques européens et américains et l’utilisation de ces mesures restrictives ne sera pas sans conséquence pour eux. Il conviendra donc de surveiller de près l’évolution de la situation. 

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1  Article publié dans le Monde du Droit le 3 août 2020 disponible via ce lien : https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/71073-emergence-regimes-sanctions-economiques-chine-contours-encore-incertains.html    

2    Intitulée : “Joint Declaration of the government of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland and the government of the People's Republic of China on the question of Hong Kong” du 19 décembre 1984.  

3  Article 22 de la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong : “No department of the Central People’s Government and no province, autonomous region, or municipality directly under the Central Government may interfere in the affairs which the Hong Kong Special Administrative Region administers on its own in accordance with this Law”.  

4  Hong Kong Autonomy Act, H.R. 7440 (Public Law No. 116-149) (HKAA).  

5  Executive Order 13936 – The President’s Executive Order on Hong Kong Normalization.  

6  Traduction libre de la section 5(a) de la loi pour l’autonomie de Hong Kong du 14 juillet 2020.  

7  Le caractère significatif d’une transaction n’a pas de définition légale officielle dans le cadre de ce nouveau programme de sanctions économiques contre la Chine. Il est toutefois possible de se référer, comme c’est le cas pour d’autres programmes, à l’ensemble des faits et circonstances entourant la transaction permettant une évaluation casuistique selon divers facteurs en présence (la nature, la taille, le nombre et la fréquence des transactions, un lien entre la transaction et une personne sanctionnée, l’impact de la transaction sur les objectifs de la loi, etc.).  

8  Traduction libre de la section 5(b) de la loi pour l’autonomie de Hong Kong du 14 juillet 2020.  

9  Traduction libre de la section 7(b) de la loi pour l’autonomie de Hong Kong du 14 juillet 2020.  

10  L’autorité régulant les exportations américaines, le Bureau of Industry and Security (« BIS ») a ainsi suspendu les exceptions prévues en matière de licences d’exportations vers Hong Kong le 30 juin 2020.  

11  Section 1 du décret présentiel 13936.  

12  Section 4 (a)(iv) du décret présentiel 13936.  

13  Voir le communiqué de presse de l’OFAC : https://home.treasury.gov/news/press-releases/sm1088  

14  Lien vers la traduction anglaise de la nouvelle loi de sécurité nationale de Hong Kong : https://hongkongfp.com/2020/07/01/in-full-english-translation-of-the-hong-kong-national-security-law/  

15  https://www.reuters.com/articl...  

16  https://www.globaltimes.cn/con...  

17  Relex 563 : « Draft Council conclusions on Hong Kong », 24 juillet 2020.