Le 16 juillet 2020, l’Autorité des marchés financiers (ci-après, l’« AMF » ou l’ « Autorité ») a publié un guide sur le gel des avoirs (ci-après, le « Guide »). L’Autorité administrative indépendante française souhaite ainsi accompagner certains des professionnels qui lui sont assujettis dans leur appréhension des différents régimes existants en matière de gel des avoirs, afin de (1) clarifier leur champ d’application et de rappeler les obligations qui en découlent.1  Cette publication de l’AMF s’inscrit également dans (2) une tendance de fond visant au renforcement, à la structuration et à une meilleure effectivité de l’arsenal juridique européen et national encadrant les sanctions économiques, et plus particulièrement, les mesures de gel des avoirs.

1.      Présentation du contenu du Guide sur le gel des avoirs de l’AMF

1.1.    Les différents régimes en matière de gel des avoirs

Au travers de ce Guide, l’AMF rappelle les différents régimes de gel des avoirs applicables à certains professionnels assujettis. Ces derniers sont présentés dans le détail à la section suivante.2 

La réglementation française en la matière s’articule autour de plusieurs régimes juridiques interdépendants. En effet, la France applique les mesures de gel des avoirs édictées par l’Organisation des Nations Unies (ci-après, l’« ONU ») (1) et l’Union Européenne (ci-après, l’ « UE ») (2) tout en conservant la possibilité d’édicter ses propres mesures nationales de gel des avoirs (3).

1.1.1.  Régime « onusien » 

Les articles 39 à 51 du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies prévoient la possibilité pour le Conseil de sécurité des Nations Unies (ci-après, le « CSNU ») d’adopter des résolutions (ci-après, les « Résolutions ») prévoyant des sanctions financières, économiques et commerciales,3 en ce compris des mesures de gel des avoirs, « en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression » et ce « afin de préserver et maintenir la paix à travers le monde ».

En matière de gel des avoirs, les personnes et entités visées sont désignées par le comité des sanctions (ci-après, le « Comité ») réunissant tous les États membres du CSNU. Le Comité est chargé de s’assurer de l’effectivité des Résolutions et de l’actualisation des listes de gel. Lorsque les mesures de gel sont liées à la lutte contre la prolifération nucléaire ou à la lutte contre le financement du terrorisme,4 elles font également l’objet de recommandations du Groupe d’Action Financière (ci-après, le « GAFI »).

Dans un second temps, il revient à chaque pays membre de l’ONU de transposer en droit interne puis d’appliquer ces Résolutions. Concernant les États membres de l’UE, la mise en œuvre des Résolutions du CSNU peut être faite, en tout ou partie, par l’UE dès lors que les domaines d’actions relèvent de l’Union.5

L’article 25 de la Charte des Nations Unies précise que les Résolutions du CSNU et les décisions du comité s’imposent aux États directement et non aux personnes morales et / ou physiques. A ce titre, la Direction générale du Trésor rappelle qu’en l’absence de transposition en droit interne par la France, les organismes financiers n’ont pas d’obligation juridique de geler les avoirs de ces personnes ou entités.6

1.1.2. Régime européen

Pour sa part, l'UE adopte ou révise des mesures restrictives (ci-après, « sanctions ») (i) sur la base d’une analyse interne des développements internationaux et (ii) dans les cadre de la mise en œuvre des sanctions adoptées par le CSNU. Ces sanctions sont adoptées dans le cadre de sa politique extérieure et de sécurité commune (ci-après, « PESC ») afin de restreindre le commerce avec des Etats tiers ou des relations commerciales avec certaines personnes ou groupes.7

Ainsi, l’UE adopte des règlements européens sur le fondement de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après, « TFUE ») lui permettant :8

  • de transposer dans son ordre juridique les résolutions du CSNU prévoyant des mesures de gel ; etde transposer dans son ordre juridique les résolutions du CSNU prévoyant des mesures de gel ; et
  • d’imposer des mesures de gel de manière autonome, indépendamment de toute action de l’ONU.

Les sanctions européennes sont adoptées à la suite d’un processus législatif en plusieurs étapes :9

  • décision du Conseil sur la base du TFUE (PESC) : premièrement, les Etats membres adoptent une décision du Conseil à l’unanimité dans le cadre de la compétence PESC du Conseil ;
  • règlement du Conseil sur la base du TFUE : ensuite, le Conseil met cette décision en œuvre en adoptant un règlement du Conseil ; 
  • mesures nationales de mise en œuvre : l’UE ne peut adopter les règles administratives et/ou pénales nécessaires, c’est aux Etats membres d’adopter des mesures nationales individuelles.

Les règlements européens prévoyant des mesures de gel sont directement applicables dès leur publication au Journal Officiel de l’UE (ci-après, « JOUE »), sauf dispositions contraires.

Les mesures de gel sont régulièrement réexaminées au regard de leurs objectifs, aux fins d’abrogation ou de reconduction. En outre, les règlements européens sont régulièrement modifiés, aux fins de mise à jour des listes des personnes ou entités désignées ou pour corriger les éléments d’identification des personnes ou entités désignées, voire abrogés ou remplacés par de nouveaux textes.10

Les sanctions européennes sont mises en œuvre par les autorités compétentes des États membres. Les entreprises sont donc confrontées au minimum à vingt-huit (28) autorités différentes, sachant que plusieurs autorités peuvent êtres compétentes dans un État membre. 11

1.1.3. Régime national

Il convient de noter que la réglementation sanctions française repose principalement sur la réglementation européenne. Comme indiqué précédemment, les règlements européens contenant des actions relevant de la compétence de l’UE entrent en vigueur dans l’ordre juridique français dès leur publication au JOUE. Cependant, la France conserve le pouvoir d’édicter des mesures de gel des avoirs au titre de sa compétence résiduelle en la matière prévue par le Code monétaire et financier12 (ci-après, le « CMF »).

Le site internet de la Direction Générale du Trésor (ci-après, « DGT ») récapitule l’ensemble des pays sous sanctions13 et met en œuvre une liste unique de gels des avoirs (disponible en ligne),14 intégrant les mesures de gels nationales, européennes et onusiennes.

1.1.3.1. Les mesures nationales de gel prises dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme sur le fondement de l’article L. 562-1 du CMF

Conformément aux exigences du CSNU15 et du GAFI,16 le droit français17 prévoit un dispositif autonome visant à lutter contre le financement du terrorisme permettant de prendre des mesures de gel des avoirs. Ce dispositif prévu à l’article L. 562-1 du CMF indique que les mesures de gel sont détaillées dans des arrêtés co-signés par le ministre de l’économie et le ministre de l’intérieur.

Les mesures nationales de gel, valides 6 mois et renouvelables par arrêté, s’appliquent aux organismes financiers une fois les arrêtés signés et publiés au Journal Officiel de la République Française (« JORF »).

1.1.3.2. Les mesures nationales de gel prises sur le fondement de l’article L. 562-2 du CMF

Pour pallier les délais de transposition par un règlement européen des mesures de gel prévues par des Résolutions du CSNU, la France a prévu un dispositif spécifique à l’article L. 562-2. Les mesures transitoires de gel décidées sur ce fondement sont prises par voie d’arrêtés du ministre de l’économie, publiés au JORF. Les arrêtés sont automatiquement abrogés lorsque le règlement européen mettant en œuvre la mesure de gel entre en vigueur.18

1.2.    Les professionnels chargés de la mise en oeuvre des obligations contenues dans ce Guide

Le Guide publié par l’AMF s’adresse aux entités suivantes (i) sociétés de gestion de portefeuille, (ii) aux personnes morales qui gèrent un ou plusieurs autres FIA19 dont les porteurs de parts ou actionnaires ne sont que des investisseurs professionnels et dont la valeur totale des actifs est inférieure aux seuils de la Directive AIFM20 (iii) aux gestionnaires de fonds de capital-risque et de fonds d’entrepreneuriat social européens ; (iv) aux placements collectifs de droit français lorsqu’ils sont autogérés ; (v) aux succursales établies en France par des sociétés de gestion européennes pour la gestion d’OPCVM ou de FIA de droit français ; (vi) aux conseillers en investissements financiers ainsi qu’aux conseillers en investissements participatifs (ci-après, les « Professionnels »).21

Le Guide précise que si tous les Professionnels sont tenus d'appliquer les mesures de gel onusiennes et européennes, seules les personnes (i) assujetties aux obligations de Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ci-après, la « LCB-FT ») mentionnées à l’article L. 561-2 du CMF et (ii) qui détiennent des fonds ou des ressources économiques pour le compte d’un client sont tenues de mettre en œuvre le régime national conformément à l’article L. 562-4 I. du CMF.22

A ce titre, l’autorité précise que seules les sociétés de gestion de placements collectifs (y compris les placements collectifs autogérés et les succursales établies en France par des sociétés de gestion européennes pour la gestion d’OPCVM ou de FIA de droit français) qui inscrivent en compte au nominatif les parts ou actions des fonds d’investissement qu’elles gèrent ou qui utiliseraient une blockchain pour la tenue du passif sont tenues d'appliquer les mesures de gel nationales.23

Cependant, il semble que l’AMF ait commis une erreur en indiquant que les Professionnels sont tenus d’appliquer les mesures de gel des avoirs du régime onusien dans la mesure où seuls les Etats, et non les organismes privés, ont pour obligation de faire application de ces mesures.24

En outre, il convient de rappeler que même si le Guide s’adresse spécifiquement aux Professionnels, l’ensemble des entreprises françaises sont soumises aux mesures européennes de gel des avoirs. Ces dernières visent l’ensemble des personnes morales et personnes physiques, contrairement aux obligations prévues par le CMF en matière de LCB-FT qui ne visent que les organismes assujettis.

1.3.    Définition du gel et périmètre des avoirs gelés

Pour rappel, les mesures de gel des avoirs s’inscrivent dans le cadre de régimes de sanctions économiques. Elles impliquent, pour les Professionnels (i) de geler sans délai les fonds et autres biens des personnes ou entités désignées par ces mesures et (ii) de s’assurer qu’aucun fonds ou autre bien ne soit mis, directement ou indirectement, à la disposition de ces personnes ou entités ou utilisés à leur profit.25

1.4.    Obligations pesant sur les Professionnels

L’AMF rappelle les obligations pesant sur les Professionnels.

1.4.1. L’obligation de détection

Afin de pouvoir mettre en œuvre les mesures de gel des avoirs, les Professionnels doivent se doter d’un dispositif leur permettant de détecter les personnes ou entités désignées. Ce dispositif doit permettre :

  • d’identifier les clients et le/leurs bénéficiaire(s) effectif(s) avant toute entrée en relation d’affaires ou avant exécution d’une opération occasionnelle, au regard des personnes ou entités désignées par les règlements européens et/ou arrêtés ;
  • de filtrer les bases de données de clientèle à compter de la publication des règlements européens et/ou des arrêtés imposant de nouvelles mesures de gel, abrogeant ou rectifiant des éléments d’identification des personnes ou entités précédemment désignées.26

1.4.1.1. Listes à prendre en compte

L’AMF fait état des listes devant être prises en compte, à savoir :

  • le registre national des personnes faisant l’objet d’une mesure de gel des avoirs établi par la Direction Générale du Trésor et recensant l’ensemble des individus et entités désignés par les régimes onusien, européen et national de gel ;27
  • la liste européenne des individus, groupes et entités désignés par les régimes de sanctions économiques onusien et européen visant, entre autres restrictions, ceux faisant l’objet de mesures de gel des avoirs ;28
  • la liste fournie par un prestataire qui peut recenser des personnes soumises à des mesures de gel ou plus généralement à des sanctions économiques ;
  • les listes étrangères lorsque le Professionnel assujetti est soumis à d’autres régimes nationaux étrangers de gel que le régime national français (par exemple, la liste publiée par l’Office of Financial Sanctions Implementation du Trésor de Sa Majesté répertoriant les cibles de mesures de gel des avoirs britanniques29 ou encore la liste des Specially Designated Nationals and Blocked Persons (ci-après, la « Liste SDN ») administrée par l’Office of Foreign Assets Control américain30 (ci-après, « l’OFAC »).31 

1.4.2. Le traitement de l’alerte

En cas d’alerte sur un client ou un bénéficiaire effectif, le Guide préconise aux Professionnels de procéder à son analyse aux fins de déterminer si la personne en cause fait l’objet de mesures de gel des avoirs.

A ce titre, le Professionnel est tenu de collecter suffisamment d’informations pour effectuer sa due diligence. Pour ce faire, il peut soit requérir des renseignements complémentaires au client, soit s’aider de ressources externes. Par exemple, le Professionnel peut très bien recourir à un outil de bases de données permettant d’effectuer un screening en temps réel des listes de sanctions après s’être informé sur la structure capitalistique du client en question ou sur ses dirigeants (en ce compris les membres du conseil d’administration). Ceci permet à l’assujetti de vérifier si le client est visé par des restrictions ou s’il est détenu ou contrôlé par des personnes / entités faisant l’objet de telles mesures.

Le cas échéant, si le traitement de l’alerte permet de conclure que l’individu ou entité objet de l’alerte est désigné par des mesures de gel, le Professionnel doit « immédiatement » mettre en œuvre ces mesures et en informer la Direction Générale du Trésor (obligation de résultat). En revanche, si l’alerte ne peut être levée et que le Professionnel présente des doutes quant à son inscription sur une liste, il doit effectuer « dans les plus brefs délais » une déclaration d’homonymie à la Direction Générale du Trésor, laquelle pourra soit confirmer ou infirmer l’identité de la personne en cause, soit autoriser à ne pas geler les avoirs de celle-ci si le doute persiste. Dans ce dernier cas de figure, le Professionnel sera tenu d’adapter le niveau de vigilance adoptée pour celle-ci en réévaluant le profil de la relation d’affaires.

1.4.3. L’obligation de mettre en œuvre les mesures de gel

Le Guide indique que la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs correspond à une obligation de résultat. En ce sens, les Professionnels sont tenus d’appliquer « sans délai » la mesure de gel lorsqu’un client a été identifié comme désigné par une des listes citées précédemment et ceci sans autorisation ou confirmation auprès de la Direction Générale du Trésor, sauf à procéder à une déclaration d’homonymie.

1.4.4. Articulation entre les mesures de gel des avoirs et le dispositif de LCB-F

Contrairement aux obligations en matière de LCB-FT prévues aux articles L. 561-2 et suivants du CMF, l’AMF rappelle que la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs ne relève pas d’une approche par les risques. Autrement dit, les professionnels assujettis sont tenus d’appliquer ces mesures en cas d’identification d’un client désigné non pas car ils sont tenus d’une obligation de vigilance mais parce qu’ils opèrent des services financiers pour le compte des fonds et ressources économiques de leurs clients. A ce titre, la précision faite par l’article L. 562-4, I du CMF selon laquelle, pour le régime national, seuls les établissements soumis aux obligations de LCB-FT gérant des fonds ou ressources économiques pour le compte du client sont soumis à l’obligation de mettre en œuvre les mesures de gel illustre cette idée en ce qu’ils ont un accès direct à ces fonds lorsqu’ils les détiennent ou reçoivent. L’avant-propos du Guide précise d’ailleurs que les personnes assujetties doivent « s’assurer qu’aucun fonds ou autre bien ne soit mis, directement ou indirectement, à la disposition ou utilisés au profit » des personnes sanctionnées.

Pour rappel, conformément à leur obligation de vigilance au titre des articles L. 561-4-1 à L. 561-14-2 du CMF, les assujettis aux obligations de LCB-FT doivent mettre en place des dispositifs d’évaluation et d’identification des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme auxquels ils sont présentés par leur activité. Cela peut ainsi conduire l’établissement à déterminer que certains facteurs tels que le pays d’origine d’un client ou encore de destination d’un produit ou service peut être à risque. Cependant, si au cours de la relation d’affaires un client se voit sanctionner par des mesures de gel des avoirs, le professionnel sera tenu de geler les fonds du client qu’il gère indépendamment du profil de risque établi suivant l’approche par les risques.

Il faut en conséquence comprendre cette obligation de mise en œuvre des mesures de gel par les personnes assujetties aux obligations de LCB-FT comme une mesure complémentaire à l’approche par les risques qui permet notamment d’impacter le profil de risque d’un client dans leur relation d’affaires.

1.5.    Sur les sanctions encourues par les Professionnels en cas de contravention à la réglementation en matière de gel des avoirs1.5.1. Sanctions administratives

Lorsqu’elle est saisie par le Collège, la Commission des sanctions de l’AMF peut prononcer des sanctions à l’encontre :

  • des professionnels contrôlés par l’AMF au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles ;
  • des personnes physiques placées sous l’autorité de ces professionnels ou agissant pour leur compte ;
  • des personnes qui se sont livrées à un abus de marché ou tout autre manquement portant atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché.

La forme des sanctions prévues par les textes varie en fonction (i) des catégories de personnes mises en cause et (ii) de la nature des faits qui leur sont reprochés. Il peut s’agir 

  • de sanctions pécuniaires ; et/ou
  • de sanctions disciplinaires (par exemple, un avertissement, un blâme ou l’interdiction à titre temporaire ou définitif de l’exercice de tout ou partie des services fournis).

En matière de gel des avoirs, l’article L. 561-36, I du CMF prévoit que les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 peuvent être sanctionnées par l’AMF en cas de non-respect des obligations de LCB-FT auxquelles elles sont soumises. A ce titre, les Professionnels visés par le Guide peuvent être sanctionnés au titre du défaut de mise en œuvre de leur obligation de geler les avoirs des personnes listées. 

Par ailleurs, si la sanction est pécuniaire, les sommes sont versées au Trésor public ou au fonds de garantie auquel est affilié le Professionnel condamné.

1.5.2. Sanctions pénales

L’autorité ne précise pas les éventuelles sanctions auxquelles s’exposent les Professionnels en cas de contravention à une mesure de gel des avoirs.

Il convient cependant de noter qu’en France, le Code des douanes et le Code pénal prévoient des sanctions pénales pour violation des mesures européennes et nationales de gel des avoirs. Ces sanctions sont prévues au 1 bis et 1 ter de l’article 459 du Code des douanes.

En application de ces dispositions, le fait pour toute personne de contrevenir ou tenter de contrevenir aux mesures de gel des avoirs est notamment passible :

  • d'une peine d'emprisonnement de cinq ans ;
  • de la confiscation du corps du délit ;
  • d'une amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction.

Les personnes morales peuvent aussi voir leur responsabilité pénale engagée si la violation de la mesure a été commise pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Dans ce cas, elles peuvent être condamnées aux sanctions prévues à l’article 131-39 du Code pénal. Les personnes physiques – en ce compris les dirigeants et actionnaires personnes physiques – peuvent également voir leur responsabilité pénale engagée sur le même fondement.

Ces peines dites « complémentaires » peuvent revêtir, entre autres, les formes suivantes :

  • l'exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus ;
  • l'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre ses titres financiers aux négociations sur un marché réglementé ; 
  • la dissolution, lorsque la personne morale a été créée ou détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ; 
  • l'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ; 
  • le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ; 
  • la fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l'un ou de plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ; 
  • l'affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.

2.      Une publication illustrant une volonté nationale de structurer et de renforcer l’effectivité de l’arsenal juridique français et européen encadrant les mesures de gel des avoirs

2.1.    Une publication venant nourrir le dispositif de droit souple existant et applicable en France

Cette publication de l’AMF renforce une tendance de fond visant à structurer et appuyer l’effectivité de l’arsenal juridique encadrant les mesures de gel des avoirs qui s’illustre tant au niveau européen que français.

A ce titre, il convient de noter que ce Guide vient compléter les lignes directrices déjà publiées par d’autres autorités françaises telles que :

En outre, ce Guide doit également être appréhendé à la lumière du droit souple européen en la matière. A ce titre, il convient de noter que la structure décentralisée de la mise en œuvre opérationnelle des mesures de gel des avoirs européennes entraîne des risques d’interprétation et d'application divergentes entre les Etats membres. En ce sens, les lignes directrices ou expertises techniques qui guident l’application des sanctions ne sont pas toujours homogènes. Certains mécanismes visent à limiter les écarts :

  • les institutions de l'UE ont publié des orientations et lignes directrices ;
  • les Etats membres sont tenus de coopérer et d’échanger des informations ; 
  • les Etats membres se coordonnent également au sein d'un groupe de travail des conseillers pour les relations extérieures (dit « RELEX ») du Conseil, dans lequel ils bénéficient des conseils et de l’expertise de la Commission et du Service européen d’action extérieure (dit « SEAE »).

2.2.   Une publication renforçant le rôle du Règlement de blocage européen

Dans ce Guide, l’AMF rappelle aux Professionnels qu’en fonction du périmètre de leurs activités, lorsque les Professionnels sont assujettis à des régimes de sanctions économiques étrangers, ils sont tenus de se conformer à ces régimes.34

Au soutien de ce propos, l’Autorité fait directement référence à l’article 5 du règlement n°2271/96 (dit « Règlement de blocage ») qui interdit aux Professionnels de se conformer, directement ou par filiale ou intermédiaire interposée, « activement ou par omission délibérée », aux prescriptions ou interdictions fondées directement ou indirectement sur la législation des États-Unis prévoyant des sanctions extraterritoriales visée en annexe dudit règlement, sauf autorisation accordée par la Commission européenne pour déroger à cette disposition.35

Pour rappel, il y a vingt-trois ans, le Conseil européen a adopté ce Règlement de blocage afin de lutter contre la portée extraterritoriale des sanctions économiques américaines contre Cuba, imposées par la Loi Helms-Burton de 1996 en interdisant aux acteurs économiques européens, sauf exception, de se conformer à ces sanctions.

L’efficacité du Règlement de blocage repose sur la capacité des États membres à adopter des législations nationales prohibant toute contravention à ce dernier et assurant la poursuite d’éventuelles contraventions. Cependant, seuls quelques États membres ont adopté des législations nationales à cette fin (le Royaume-Uni considère par exemple cette infraction comme un délit pénal). En conséquence de quoi, depuis son entrée en vigueur, le Règlement de blocage tend à être considéré comme inefficace en raison de son absence d’application. Les entreprises européennes confrontées au choix entre le respect des sanctions secondaires américaines et la violation du Règlement de blocage, ont tendance à choisir la première solution en raison des poursuites agressives de l’OFAC, des amendes importantes qui en résultent pour les entreprises européennes qui contreviennent aux dispositions des sanctions américaines et enfin en raison de la possibilité d’être ajoutées à la Liste SDN. Par exemple, les entreprises européennes préfèrent ainsi prendre le risque de contrevenir au Règlement de blocage (et encourir des sanctions relativement mineures) en se retirant du marché iranien plutôt que de faire face aux conséquences d’une désignation comme SDN au titre des sanctions secondaires (c’est-à-dire l’exclusion du système financier américain et l’interdiction de traiter avec des personnes américaines, qui est susceptible de mettre en péril la survie de nombreuses entreprises).

En faisant état des dispositions susvisées contenues au sein du Règlement de blocage, l’AMF souhaite réaffirmer la valeur et la portée juridique de ce texte et encourager les Professionnels à l’appliquer et ce, afin de diminuer autant que possible l’extraterritorialité des sanctions économiques américaines.

2.3.   Une publication illustrant l’importance de prendre en compte les risques en matière de sanctions économiques lors d’opérations financières

Les grandes puissances économiques, avec pour chef de file les Etats-Unis, utilisent de manière accentuée ces dernières années, les sanctions économiques et financières à l’encontre de certains Etats, territoires, groupes, entreprises et personnes comme instrument de politique étrangère. Ce recours croissant aux sanctions économiques a un impact direct sur les acteurs économiques et fait émerger pour ces derniers de nouveaux risques auxquels il doivent se préparer. Il est ainsi essentiel pour les acteurs économiques opérant dans des secteurs d’activité à risque ou soumis à des obligations spécifiques (comme les organismes assujettis) de mettre en place un dispositif spécifique adapté à leurs risques ou aux spécificités de leur activité.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la publication par l’AMF de ce Guide, qui vient rappeler aux assujettis en ce compris les fonds d’investissement l’obligation de se conformer aux réglementations sanctions françaises et européennes qui leur sont applicables notamment dans le cadre de leurs opérations de financement ou de prises de participations.

____

1  Site de l’AMF, Communiqué de presse, « Gel des avoirs : l’AMF publie un guide », source : https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/gel-des-avoirs-lamf-publie-un-guide.

2  Voir Section « 1.2 Professionnels visés par le Guide » du présent article.

3 Guide bonne conduite/Foire aux questions relatifs à la mise en œuvre des sanctions économiques et financières, p.7, Direction générale du Trésor, version du 1er septembre 2014 (V3) mise à jour le 15 juin 2016.

4 Recommandations n°6 et n°7 du GAFI, février 2012.

5 Guide bonne conduite/Foire aux questions relatifs à la mise en œuvre des sanctions économiques et financières, p.7, Direction générale du Trésor, version du 1er septembre 2014 (V3) mise à jour le 15 juin 2016.

6 Lignes directrices conjointes de la Direction Générale du Trésor et de l’ACPR sur la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs, juin 2016.

7 Site internet du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne, onglet Sanctions : comment et quand l’UE adopte des mesures restrictives, source : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/.

8  Ibid.

9  Ibid.

10 Lignes directrices conjointes de la Direction Générale du Trésor et de l’ACPR sur la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs, juin 2016.

11 Voir Section « 2.1 Une publication venant nourrir le droit souple applicable en France » du présent article.

12 Articles L151-2, L562-1, L562-2, L562-3 à L562-11 du CMF.

13 https://www.tresor.economie.gouv.fr/services-aux-entreprises/sanctions-economiques

14 https://www.tresor.economie.gouv.fr/services-aux-entreprises/sanctions-economiques/tout-savoir-sur-les-personnes-et-entites-sanctionnees

15 Résolution 1373 (2001) du 28 septembre 2001.

16 Recommandation n° 6.

17 Il a été introduit par la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

18 Lignes directrices conjointes de la Direction Générale du Trésor et de l’ACPR sur la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs, juin 2016.

19 Fonds d'Investissement Alternatifs.

20  https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32011L0061&from=FR.

21 Guide sur le gel des avoirs, AMF, p. 3.

22 Guide sur le gel des avoirs, AMF, p. 7.

23 Ibid.

24 Voir Section « 1.1.1 le régime onusien » du présent article.

25 Site de l’AMF, Communiqué de presse, « Gel des avoirs : l’AMF publie un guide », source : https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/gel-des-avoirs-lamf-publie-un-guide.

26 Guide sur le gel des avoirs, AMF, p. 10.

27 https://www.tresor.economie.gouv.fr/services-aux-entreprises/sanctions-economiques/tout-savoir-sur-les-personnes-et-entites-sanctionnees.

28 https://eeas.europa.eu/topics/sanctions-policy/8442/consolidated-list-of-sanctions_en.

29 https://www.gov.uk/government/publications/financial-sanctions-consolidated-list-of-targets/consolidated-list-of-targets.

30 https://home.treasury.gov/policy-issues/financial-sanctions/specially-designated-nationals-and-blocked-persons-list-sdn-human-readable-lists.

31 Voir Section « 2.3 Renforcer le dispositif français et européen existant afin de limiter l’extraterritorialité des sanctions économiques américaines » du présent article.

32 Publié le 1er septembre 2014, dernière mise à jour le 15 juin 2016.

33 Publiées en juin 2016, dernière mise à jour le 17 juin 2019.

34 Guide sur le gel des avoirs, AMF, p. 12.

35 Guide sur le gel des avoirs, AMF, p. 12.