15 septembre 2020 - Cet article est le second d'une série de trois publications dont l’objectif est d’offrir un panorama complet des sanctions économiques émergentes contre la Chine. Le prochain article portera sur les applications chinoises TikTok/WeChat (3/3) sera disponible la semaine prochaine sur le site Internet de Hughes Hubbard & Reed.

Comme nous l’indiquions la semaine dernière dans la première partie de cet article, l’arsenal déployé par les Etats-Unis contre la Chine intègre également des mesures restrictives directement dirigées contre certains acteurs clés de l’économie chinoise. A ce titre, le cas de Huawei, société de premier plan dans le secteur des télécommunications, est très certainement le plus emblématique en ce qu’il illustre la variété des outils à disposition des autorités américaines – ici, la règlementation relative au contrôle des exportations (« export control ») – pour contrecarrer l’influence géoéconomique de la Chine au travers de ses fleurons industriels.

Une attaque américaine globale : le rappel des faits

La vigilance des autorités américaines envers la firme chinoise n’est pas nouvelle. Huawei, numéro un mondial des télécoms, pionnier de la 5G et figure de proue de l’économie chinoise, est dans le collimateur des autorités américaines depuis de nombreuses années.

Dès 2013, la presse relate des liens étroits entre Huawei et une société écran hongkongaise, Skycom Tech Co Ltd (« Skycom »), dans le but de conduire certaines activités en Iran en violation de la règlementation sanctions économiques américaine.1 La directrice de Huawei aurait notamment été membre de la gouvernance de Skycom pendant plus d’un an en 2009. La vente, au travers de Skycom, de plus d’un million d’U.S. dollars d’ordinateurs de la marque américaine HP en Iran, en contravention des règlementations sanctions économiques et contrôle des exportations américaines, est également évoquée à l’époque.

En 2016, HSBC, qui était alors sous le coup d’une enquête des autorités pour violations alléguées des sanctions économiques américaines, aurait également transmis des informations au Department of Justice américain incriminant Huawei et sa directrice financière, Meng Wanzhou (également fille de Ren Zhengfei, fondateur de Huawei).2 Ces derniers auraient notamment utilisé des stratagèmes frauduleux dans ses relations commerciales avec la banque britannique (ainsi que d’autres institutions financières) en maquillant les véritables relations entre l’entreprise chinoise et Skycom dans le cadre d’activités conduites en Iran en contravention des sanctions américaines pour un montant global supérieur à cent millions d’U.S. dollars. C’est sur la base de ces suspicions que les autorités américaines ont commencé leur investigation contre Huawei dans un contexte de tensions commerciales grandissantes entre Washington et Pékin.  

L’affaire a, en décembre 2018, pris une plus grande ampleur avec l’arrestation au Canada, à la demande des autorités américaines, de Meng Wanzhou. Cette dernière s’est retrouvée placée en liberté surveillée à Vancouver quelques jours après son arrestation et depuis fait l’objet d’une procédure d’extradition initiée par les autorités américaines. 

Le 24 janvier 2019, les autorités américaines ont déposé un acte d’accusation3 devant le tribunal fédéral de Brooklyn à l’encontre de Huawei Technologies Co. Ltd, Huawei Device USA Inc., Skycom et Meng Wanhou fondé sur treize chefs d’inculpation dont la fraude bancaire et la violation des sanctions économiques américaines contre l’Iran et particulièrement du International Emergency Economic Powers Act (« IEEPA »).4 Un nouvel acte d’accusation5 pour espionnage industriel sur le fondement de violations alléguées du Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act (« RICO ») a également été déposé contre Huawei devant le tribunal de Brooklyn le 13 février 2020. L’affaire est toujours en cours.  

Le 15 mai 2020, le Président américain a pris, au nom de la sécurité nationale un décret (« Executive order ») autorisant le Département du Commerce à interdire aux sociétés américaines de se fournir auprès de certaines sociétés considérées comme à risque, dont Huawei.

Parallèlement à ce décret, le Bureau of Industry and Security (« BIS »), l’autorité américaine dépendant du Département du Commerce et qui est notamment en charge d’administrer une partie de la règlementation de contrôle des exportations américaines, a annoncé la désignation de Huawei et de soixante-huit de ses succursales non-américaines le 16 mai 2019.6 Quarante-six succursales de la société chinoise à travers le monde ont également été désignées le 19 août 20197 ainsi que trente-huit autres le 17 août 2020.8  

Huawei : une société désormais asphyxiée

A ce jour, Huawei et cent cinquante-deux de ses succursales ont été ajoutées à l’Entity List en raison du risque significatif porté à la sécurité nationale et à la politique étrangère des Etats-Unis.

De manière générale, l’inclusion d’une société sur l’Entity List, annexée à la section 744 de l’Export Administration Regulations (« EAR »),9 signifie que l’exportation, la réexportation et le transfert de biens soumis à l’EAR impliquant cette société doivent faire l’objet d’une approbation préalable (ou « license ») de la part du BIS. L’ajout de toute société sur l’Entity List s’accompagne en effet d’une « politique d’examen de délivrance de licence » (aussi appelée « License Review Policy ») qui donne des indications quant au traitement des demandes de licence par le BIS.  

Le champ d’application de l’EAR est relativement large, tout comme celui des réglementations sanctions économiques américaines, dans la mesure où il porte sur les biens objets de l’opération et non pas sur la localisation et/ou l’identité des parties à la transaction.10 Ainsi, l’EAR s’applique à (i) tout bien situé aux Etats-Unis, (ii) tout bien d’origine américaine où qu’il se trouve, (iii) tout bien produit en dehors des Etats-Unis intégrant des composants « contrôlés » d’origine américaine dont la valeur dépasse un seuil « de minimis » de 25% ou de 10% de la valeur totale du produit fini en fonction de la destination de ce dernier, ou (iv) tout bien produit en dehors des Etats-Unis qui a été fabriqué au moyen d’une technologie américaine contrôlée pour raison de « sécurité nationale » ou à partir d’un site contrôlé pour raison de « sécurité nationale » et dont le bien qui en découle est également contrôlé pour raison de « sécurité nationale » (les règles de contrôle des exportations américaines feront l’objet d’un billet séparé en octobre 2020).  

Les entreprises dans le monde entier souhaitant commercialiser des biens répondant à l’un des critères susvisés doivent en amont solliciter une licence auprès du BIS, licence qui sera d’autant plus complexe à obtenir qu’il existe une présomption de refus de délivrance de licence pour toute exportation, réexportation ou transfert impliquant Huawei et ses succursales. On comprend ainsi aisément que l’ajout de Huawei et de ses succursales sur l’Entity List a un impact considérable d’autant plus dans un contexte où les fournisseurs américains de Huawei en micro-processeurs représentent 11 milliards des 70 milliards de dépenses d’approvisionnement de la société chinoise.11 Ainsi, à la suite de cet ajout, plusieurs sociétés américaines (notamment Google et les fournisseurs de micro-processeurs Qualcomm et Intel) ont cessé de fournir leurs produits à Huawei.12 Parallèlement à ces mesures restrictives et afin d’en atténuer l’impact sur les fournisseurs américains, l’administration Trump (au risque d’être taxée de protectionnisme économique) a, par la suite, accordé à Huawei une licence temporaire de 90 jours – renouvelée par la suite jusqu’au 1er avril 2020 - lui permettant de poursuivre certaines opérations avec des entités américaines.13 

Cependant, malgré la désignation de Huawei et ses succursales sur l’Entity List, cette dernière a continué de commissionner la production de puces semi-conductrices à des sociétés utilisant des logiciels et technologies américains. C’est la raison pour laquelle, le 19 mai 2020, le BIS a amendé une section de l’EAR relative aux biens produits à l’étranger (« foreign-produced direct product rule ») afin d’étendre son champ d’application et d’ainsi restreindre la vente de certaines puces semi-conductrices non-américaines à Huawei et ses succursales listées sur l’Entity List.14 

Le 17 août 2020, BIS a renforcé les restrictions contre Huawei en amendant une nouvelle fois la section de l’EAR susvisée en précisant la typologie de biens produits à l’étranger et soumis à l’EAR dont l’export à Huawei ou l’une de ses succursales requiert à ce titre une licence spécifique. Sont ainsi concernés certains biens produits à l’étranger directement au moyen d’un logiciel ou d’une technologie américaine ou conçu dans une usine utilisant des technologies américaines soumises à l’EAR.15 Cette dernière action du gouvernement américain contre la société chinoise vise ainsi à restreindre l’accès de Huawei à la technologie américaine afin de protéger la sécurité nationale des Etats-Unis, selon le Secrétaire au commerce du gouvernement américain, Wilbur Ross.  

Une étude au cas par cas des transactions impliquant Huawei et ses succursales devra ainsi être soigneusement réalisée avant chaque exportation, réexportation ou transfert de biens assujettis à l’EAR afin de s’assurer de l’absence de contravention à cette règlementation.

L’ensemble de ces mesures de restrictions aux exportations ont fini par atteindre leur objectif en affaiblissant considérablement la stabilité économique de Huawei qui rencontre aujourd’hui de grandes difficultés à trouver des alternatives aux micro-processeurs américains ou issus de technologie américaine.

Le cas de Huawei illustre parfaitement l’escalade des tensions entre Washington et Pékin depuis 2018 et s’inscrit aujourd’hui dans une politique agressive vis-à-vis de la Chine. Les sanctions prononcées à l’encontre de TikTok et WeChat (comme nous l’expliquerons dans le dernier article de cette série, le 15 septembre 2020) en sont la dernière démonstration.

_______________________________________

1  https://www.reuters.com/article/us-huawei-skycom/exclusive-huawei-cfo-linked-to-firm-that-offered-hp-gear-to-iran-idUSBRE90U0CC20130131

2  https://www.reuters.com/article/us-huawei-hsbc-exclusive/exclusive-hsbc-probe-helped-lead-to-u-s-charges-against-huawei-cfo-idUSKCN1QF1IA

3  L’« indictment » est disponible à l’adresse suivante : https://www.justice.gov/opa/press-release/file/1125021/download

4  https://www.justice.gov/opa/pr/chinese-telecommunications-conglomerate-huawei-and-huawei-cfo-wanzhou-meng-charged-financial

5  https://www.justice.gov/opa/pr/chinese-telecommunications-conglomerate-huawei-and-subsidiaries-charged-racketeering

6  https://www.federalregister.gov/documents/2019/05/21/2019-10616/addition-of-entities-to-the-entity-list

7  https://www.federalregister.gov/documents/2019/08/21/2019-17921/addition-of-certain-entities-to-the-entity-list-and-revision-of-entries-on-the-entity-list

8  https://www.commerce.gov/news/press-releases/2020/08/commerce-department-further-restricts-huawei-access-us-technology-and

9  https://www.bis.doc.gov/index.php/documents/regulations-docs/2326-supplement-no-4-to-part-744-entity-list-4/file

10https://www.bis.doc.gov/index.php/documents/regulations-docs/2382-part-734-scope-of-the-export-administration-regulations-1/file

11  https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-05-17/trump-s-twin-volleys-against-huawei-have-u-s-companies-reeling              

12  https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-05-19/google-to-end-some-huawei-business-ties-after-trump-crackdown

13  https://www.bis.doc.gov/index.php/documents/regulations-docs/2396-temporary-general-license-rule/file

14    https://www.federalregister.gov/documents/2020/05/19/2020-10856/export-administration-regulations-amendments-to-general-prohibition-three-foreign-produced-direct

15  https://www.commerce.gov/news/press-releases/2020/08/commerce-department-further-restricts-huawei-access-us-technology-and